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ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia
Hervé Falloux est là devant nous, bien planté sur la petite scène du Studio Hébertot, majestueux dans son élégant costume trois pièces, d’un blanc légèrement ivoire, qui souligne, s’il le fallait, sa stature longiligne. Il nous domine presque. Il est Ivan Ilitch, un jeune aristocrate ambitieux qui se délecte et nous le fait savoir, de sa vie mondaine, de son ascension sociale, de ses conquêtes amoureuses, des progrès de sa carrière (de juge d’instruction à conseiller de cour d’appel) et des débuts puis des déconvenues de la vie maritale et familiale.
Et puis un jour la vie bascule. Un accident ridicule (qui intervient au milieu du chapitre 3 de la nouvelle La mort d’Ivan Illitch de Léon Tolstoï, parue en 1886). Une chute pour avoir voulu montrer à un ouvrier le drapé idéal d’un rideau dans son nouvel appartement suite à sa première promotion. Une blessure que l’on néglige, à laquelle on ne prête pas garde car la vie était si facile jusqu’alors. La douleur vive du début, oubliée un temps, rejaillit, du « côté gauche », précision figurant pour la première fois au début du chapitre 4 dans la nouvelle, reprise dans le titre de prime abord énigmatique choisi par Hervé Falloux.
Il faut se rendre à l’évidence. Ce « quelque chose » s’est sournoisement invité dans ce corps jusqu’alors si bien maîtrisé. C’est d’abord l’homme face à la maladie, ou pire encore, face à un mal que l’on ne peut nommer, car l’ignorance des médecins est à la hauteur de leur condescendance et de leur morgue toisant leurs patients, ainsi que le font les magistrats face à tous les coupables potentiels. Puis la souffrance, l’illusion d’une renaissance, et l’agonie, la lutte de l’esprit et du corps quand la dignité de ce dernier est en jeu. C’est l’homme face à la mort, qui l’oblige à « vivre au bord du gouffre » jusqu’à ce que « la mort n’existe plus » quand « c’est fini ».
Le combat est tour à tour un chemin initiatique, une expérience métaphysique, mais aussi une découverte incrédule de la bonté et de l’innocence, révélée par la générosité désintéressée d’un jeune moujik, le gai Guérassime qui ne rechigne nullement à prendre soin des excréments de son maître et à lui maintenir les jambes élevées aussi longtemps que ça le soulage. Mais aussi les larmes d’un fils, n’ayant pourtant jamais eu de relation véritable avec son père, qui lui font mieux réaliser que « sa vie avait été manquée ».
Avec Quelque chose du côté gauche Hervé Falloux propose une adaptation toute personnelle de La mort d’Ivan Illitch de Tolstoï, dont la question centrale de l’homme face à la mort est présente dans toute son œuvre, et notamment dans deux autres nouvelles (Maître et serviteur et Trois morts). Le narrateur laisse la place à Ivan Illitch qui se raconte à la première personne.
L’adaptation agit de toute évidence comme une catharsis pour son auteur et interprète. Le monologue est d’une très grande beauté. Les choix opérés dans le texte d’origine sont très pertinents et les enchaînements se font naturellement, si bien que le spectateur qui n’aurait jamais lu la nouvelle pourrait croire que c’est une version intégrale qui est proposée.
La diction d’Hervé Falloux est magnifique, même si le soir de première se glissaient ici ou là quelques petits accrocs, mais que l’on peut ressentir aussi comme renforçant l’humanité du discours, celui d’un homme ayant vécu toute sa vie selon les apparences et son bon vouloir et qui finit par chercher un sens à sa vie, comme tout être humain face aux épreuves, en quête de lumière et de vérité.
Quelque chose du côté gauche, d’après Léon Tolstoï, adapté par Hervé Falloux
Mise en scène Séverine Vincent
Scénographie Jean-Michel Adam
Costume Jean-Daniel Vuillermoz
Lumière Philippe Sazerat
Création son Ladam
Avec :
Hervé Falloux
Du 28 octobre au 27 novembre 2021
Les jeudis, vendredis et samedis à 19 h
Durée : 1 h 10
Reprise au Théâtre du Petit Louvre, Festival d’Avignon 2022
Studio Hébertot
78 bis boulevard des Batignolles
75017 Paris
M°2 et 3 Villiers / Rome
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