ƒƒ article de Denis Sanglard
Théâtre documentaire, terme au demeurant fort réducteur, qui donne la parole aux « invisibles », troisième et dernier volet, après Une longue peine (Maison des Métallos, 2016) et Trans Mes Ellà (Théâtre de la Bastille, 2019). Mise en espace plus que mise en scène, une parole frontale et sans apprêt, rien qui ne fasse obstacle à ce qui est exprimé. Didier Ruiz aborde ici un autre domaine sensible, l’engagement religieux. Mais loin du dogme ou de la religion en elle-même, de son appareil, d’une quelconque doctrine, c’est de spiritualité plus généralement dont il est question ici. Ils sont sept sur le plateau, chrétiens et chrétiennes, dont une protestante, une théologienne (sœur défroquée) et un frère dominicain, juif, bouddhiste, musulman et chaman qui, chacun leur tour, seul ou côte à côte, expliquent leur chemin. Parcours intime, où la profondeur, voire le vertige, n’empêche nullement la légèreté et l’humour. Parcours singulier où le doute le dispute à la conviction, une foi chevillée au corps et à l’âme, certes, mais qui se heurte aussi à la réalité d’un monde dont ils refusent de s’exclure et dans lequel ils se fondent, invisibles, et qu’ils interrogent à l’aune d’une religion déterminée ou choisie et vécue comme un absolu. Et parfois se confronte même aux dogmes d’une religion pratiquée dans laquelle ils ne se reconnaissent pas toujours, pas tout à fait, et sur lesquels ils posent également un regard critique quand eux même ne sont pas condamnés par leurs autorités parfois conservatrices, rigoristes, sinon fondamentalistes. C’est avant tout une position individualiste, un cheminement intime et solitaire, un échange fécond et constant avec ce qu’ils nomment Dieu, Bouddha, Mahomet, la Nature et ses esprits. Ou qu’ils ne peuvent nommer. Détaché en somme, affranchis des contingences et des obligations religieuses, pour une lecture sans cesse approfondie, parfois remise en cause, sans tabou jamais, avec l’objet de leur quête, de leur foi. Une phrase résume sans doute ce dialogue avec le sujet de leur quête : « Dieu me veut libre de lui. » Un regard sans ambiguïté, analyse lucide aussi sur cette recherche d’un absolu, un sens profond à donner à sa vie, qui sans doute les dépasse mais conditionne leur rapport aux autres. Un frottement toujours aigu entre abnégation et engagement, non sans dilemme parfois, une façon d’être au monde, non à côté, en accord avec ce qui les habite profondément et les anime. Pari pascalien ou certitude toujours fragile, ce que l’on retient ici et qui nous interroge, bien au-delà de l’amour, terme qui revient souvent comme un inconditionnel, c’est la notion de liberté, absolue, commune à chacun sur le plateau. Cette parole-là, exprimée sans filtre et sans prosélytisme aucun, qui pulvérise les clichés que nous traînons immanquablement, nos affirmations parfois péremptoires sur les religions expriment avec force combien cette quête, sans être détachée de leur conviction religieuse, mais affranchie de ce qui l’empoisse, rend fondamentalement libre. Et c’est ce mystère-là, cette liberté par cet engagement pleinement assuré et fragile, dans un monde qui avec Nietzsche s’est rêvé sans dieu, cette résistance au néant comme aux dogmes les plus délétères de leur religion, qui interroge.
© Didier Ruiz
Que faut-il dire aux hommes ? mise en scène de Didier Ruiz
Collaboration artistique Toméo Vergès
Avec Adel Bentounsi, Marie-Christine Bernard, Olivier Blond, Eric Foucart, Grace Gatibaru, Jean-Pierre Nakache, Brice Oliver
Dramaturgie Olivier Burton
Assistantes à la mise en scène Myriam Assouline, Céline Hilbich
Scénographie Emmanuelle Debeusscher
Assistée de Floriane Benetti
Costumes Solène Fourt
Lumières Maurice Fouilhé
Musique Adrien Cordier
Du 19 au 22 mai 2021 à 19 h
Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette
75011 Paris
Réservations 01 43 55 42 14
Tournée 2021 / 2022
17 mai 2021, Lycée René Cassin, Arpajon
11 juin 2021, Théâtre de Chevilly-Larue
16 octobre 2021, Théâtre de la Coupole, Saint Louis
20 novembre 2021, Les Bords de Scène, Juvisy
26 novembre 2021, Théâtre Jean Arp, Clamart
30 novembre et 1er décembre 2021, Théâtre 71, scène nationale, Malakoff
18 janvier 2022, M.A scène nationale, Montbéliard
22 janvier 2022, Le Channel, scène nationale, Calais
29 et 30 mars 2022, Théâtre Firmin Gémier/ La Piscine, Châtenay-Malabry
8 avril 2022, Théâtre Cinéma de Choisy-le-Roi
12 avril 2022, Scène nationale de l’Essonne Agora-Desnos, Evry
comment closed