© Chantal Palazon
Article de Corinne François-Denève
Il y a quelques mois, Chloé Olivères nous confiait que « quand elle serait grande, elle serait Patrick Swayze » (Théâtre des Béliers, Avignon, création 2022). Le modèle d’adulte visé par David Lelait-Hélo semble a priori moins évident. Son jeune héros, Milou, se fantasme en effet en Nana Mouskouri, la célèbre chanteuse franco-grecque au look incomparable – lunettes à grosse monture noire, chevelure brune et raide, rebiquant un peu sur les épaules. Le livre a eu un certain succès. Virginie Lemoine en a signé une adaptation pour les planches, ce qu’elle sait faire parfaitement, comme Le Bal ou Suite française l’avaient déjà amplement prouvé. C’est Didier Constant qui a la charge d’incarner Milou-Nana. Le spectacle, né en 2019, et stoppé en plein vol par la pandémie, renait trois ans plus tard de ses cendres, ce qui est toujours émouvant.
Le projet est louable, et on comprend ce qui a pu attirer la toujours sensible et délicate Virginie Lemoine dans ce récit d’émancipation. Un petit garçon, coincé au fond de sa grise campagne, se sent différent, mais ne sait pas encore pourquoi. Il a pour seule confidente sa mamie, et pour seul réconfort la voix de Nana Mouskouri ; et ses robes rouges, sa chevelure brune, ses lunettes épaisses. Le jeune garçon aime les hommes et c’est Nana qui l’aidera à « s’accepter », à devenir quelqu’un, un admirateur, puis un biographe – avant de devenir le personnage de cette pièce, qui retrace son parcours, de son enfance à sa maturité. Sur scène, le récit d’apprentissage, taillé par l’efficace Virginie Lemoine, déroule des étapes attendues, presque trop attendues : le rêve de s’habiller en princesse, tout petit, la première expérience sexuelle avec un homme plus âgé, honteuse, l’amour éperdu et malheureux pour un séropositif, puis enfin le bonheur, trouvé dans les bras d’un homme apaisé. Mamie est gentille, compréhensive, évidemment, mais évidemment elle fait un AVC, puis est paralysée, puis meurt.
Quand je serai grand est donc un exercice d’équilibriste, qui mérite un comédien et une mise en scène d’une grande finesse. La pièce joue du pathos, parce que l’histoire est souvent douloureuse ; de l’humour complice, car les souvenirs sont communs à bien des spectateurs et spectatrices ; et aussi du burlesque, quand Milou doit se transformer en Nana. Le dispositif scénique est certes habile : le plateau est occupé par une caravane, qui peut se transformer en bus, en salle à manger, en loge. Tout cela est ingénieux, presque trop ingénieux. Mais les mises en place sont maladroites, et les transitions tour à tour longuettes ou brutales – il est vrai que nous avons assisté à la première.
Tout en fait, dans ce récit autobiographique, qui devrait émouvoir au plus haut degré, semble truqué. Les moments de pathos sont soulignés par une musique triste. Les métamorphoses de Milou en Nana, qui auraient dû être un flamboyant moment de drag kitsch, sont à la longue gênantes ; l’épiphanie finale (un concert de Nana à l’Acropole, dans les bras de l’homme enfin trouvé) fait l’effet d’une mouche dans le tzatziki ; la rencontre avec Nana, si attendue, est un non-effet presque douloureux. Et puis voici que l’on entend la voix enregistrée de Nana, qui a laissé une note pour le spectacle et son auteur. Ah Nana ! Bénie soit la feta ! Elle parle ! Mais assistons-nous à une cérémonie, à une hagiographie, à un culte réservé aux fans de Nana (dont nous sommes) ? Est-ce Nana, ou Bernadette à Lourdes ? On voudrait du sublime fou, de l’Arias, du Llamas, on est à la messe chez les bourgeois. Etrange spectacle, finalement très guindé et jamais audacieux ni transgressif (rassurez-vous, l’amour triomphe toujours). Etrange célébration d’une voix si pure, populaire, innocente : la salle, de toute façon, pense être au karaoké et se dandine en chœur.
A la fin du spectacle, l’acteur invite le public à croire en l’amour, en ses rêves, et l’on comprend que Quand je serai grand… a pour lui une résonance extrême. Mais… le théâtre, dans tout ça ?
© Chantal Palazon
Quand je serai grand je serai Nana Mouskouri de David Lelait-Helo, adaptation de Virginie Lemoine
Mise en scène : Virginie Lemoine
Avec : Didier Constant
Durée : 1h15
A partir de 13 ans
Du 4 septembre au 7 novembre, les lundis et mardis à 19 h
Studio Hébertot
78 bis Boulevard des Batignolles
75017 Paris
01 44 58 15 15
www.studiohebertot.com
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