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Pupo di Zucchero, texte et mise en scène d’Emma Dante, Théâtre de la Colline

Juin 13, 2023 | Commentaires fermés sur Pupo di Zucchero, texte et mise en scène d’Emma Dante, Théâtre de la Colline

 © Christophe Raynaud de Lage

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

En nous la vie des morts… Le 02 novembre, en Italie du Sud, les morts sont à la fête. Sur la plus belle nappe, on dresse victuailles et douceurs avec au centre, une poupée de sucre. Quand vient la nuit, les défunts de la famille viennent manger autour de cette table préparée pour eux. En échange, au petit matin, ils laissent en remerciement des cadeaux aux enfants. Puis la famille se rend au cimetière pour visiter et honorer ses morts. C’est à cette célébration, cette fête singulière où la mort embrasse et se noue à la vie que nous convie Emma Dante.

Un vieil homme solitaire à la veille de la fête des morts prépare une poupée de sucre pour évoquer le souvenir de ses proches. Tandis que la pâte lève, les souvenirs affluent, réveillent les défunts. Et ils sont tous là, ses morts, plus vivants sans doute que jamais. Ses trois sœurs, si belles, inséparables jusque dans leur mort, la mère qui chaque jour attendait sur le port son mari disparu en mer, le père pour toujours éclatant de jeunesse, le frère adopté venu d’Afrique, l’oncle qui battait tant sa femme et qui disait l’aimer, et la tante qui tant était battue et disait être aimée… Dans cette chambre, la vie fait irruption avec fracas, joyeuse et bouleversante, scènes d’un quotidien pendulant entre comédie et tragédie. C’est un formidable souffle vital, qui traverse ce plateau, cette chambre devenue lieu de mémoire ardente où la présence des morts effacent pour un temps la solitude de ce vieillard. Oui, ils sont plus vivants que jamais ces morts qui loin d’être de pâles fantômes sont incarnés bellement, présences bien réelles et si magnifiquement charnelles… interprétés par une troupe de comédiens cosmopolites, qui a son importance ici, dirigés au cordeau, éclatant de talent et de générosité, offrant à leur personnage une part d’humanité inouïe et déchirante.

Emma Dante, encore une fois, signe une mise en scène d’une beauté sans apprêt, d’une infinie délicatesse et poésie, d’une folle et formidable énergie. De chaque scène, d’un quotidien des plus banal, elle extrait un puissant sentiment de vie à nul autre pareil, exalté et exaltant, où le bonheur d’être transfigure la banalité, l’ordinaire de vies minuscules. Pas de tristesse ici mais de l’infiniment joyeux dans ce dialogue ininterrompu entre les vivants et les morts, cette célébration où la parole circule, le verbe haut, et les corps exultent et vibrent de toutes leurs fibres. Même la mélancolie, qui vous poigne sèchement au détour de scènes miraculeuses, se pare de ses plus beaux atours, n’étant nullement l’expression de regrets mais de beauté d’instants volés au temps, à l’oubli. Chaque scène célèbre ça, ces instants fugaces, moments de bonheur impromptus et fragmentaires parfois, si précieux au creux de votre solitude, où s’immisce parfois, c’est vrai, la violence du monde et notre impuissance à y remedier. Et sur ce plateau les scènes ne se succèdent pas, elles se percutent, se croisent, se répondent, en un ballet virevoltant à vous donner le vertige, donnant à l’ensemble une impétuosité qui n’est que la simple et juste affirmation de la vie dans ses pleins et déliés.

Emma Dante célèbre ainsi la mort dans ce qu’elle a de plus intime et de plus universel, dans ce lien ténu et irréfragable qu’elle entretient avec la vie, qu’elle répare et cautérise, où les morts sont encore vivants pour peu qu’on les convoque et vous accompagnent pour ne pas mourir tout à fait, et que nous aussi nous ne mourrions pas tout à fait. Et la fin, si surprenante, inattendue, renversement brutal d’une poésie noire et baroque qui, loin d’être macabre, affirme simplement l’obsession de la vie par-delà la mort, cette volonté tenace et têtue de résister à l’inéluctable, et vous foudroie brutalement et touche profondément par sa radicalité volontaire et sa vérité rêche. C’est tout soudain un opera dei pupi funèbre figé pour toute éternité, qui succédant au maelstrom vibrionnant qui précède, ancre ses corps soudain inertes et sans vie, vidés de leur substance, dans un présent perpétuel, reflet définitif et friable de ce qu’ils furent au plus profond d’eux-mêmes.

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

 

Pupo di zucchero, texte, mise en scscène et costumes de Emma Dante

Avec : Tiebeu Marc-Henri Brissy Ghadout, Sandro Maria Campagna, Martina Caraccapa, Federica Greco, Giuseppe Lino, Carmine Maringola, Valter Sarzi Satori, Maria Sgro, Stéphanie taillandier, Nancy Trabona

Sculptures : Cesare Inerillo

Assistanat aux costumes : Italia Carrocio

 

Du 8 au 18 juin 2023

Du mercredi au samedi à 20h30, mardi à 19h30, le dimanche à 15h30

Durée 1h

 

Théâtre de la Colline

15 rue Malte-Brun

75020 Paris

Réservations : 01 44 62 52 52

www.billeterie.colline.fr

 

 

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