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Prophétique (on est déjà né.es), direction artistique de Nadia Beugré, au Centre Pompidou dans le cadre du Festival d’Automne

Déc 07, 2023 | Commentaires fermés sur Prophétique (on est déjà né.es), direction artistique de Nadia Beugré, au Centre Pompidou dans le cadre du Festival d’Automne

 

© Werner Strouven RHoK

 

ƒƒ article de Nicolas Thevenot

Un doigt qui tourne et s’acharne autour d’un trou du cul est un doigt d’honneur. Il recèle, autant que la dernière phalange de l’étoile du ballet, son pesant d’affirmation artistique et la dépasse par la portée politique de son geste. Son odeur de sainteté est queer et poétique. Prophétique (on est déjà né.es) ne s’embarrasse pas de bienséance, prend la scène comme pour la débourrer, la rendre à la mesure de ce qui refuse la norme. Et nous embrase, nous embrasse dans un corps à corps qui laisse la pensée critique pantoise, haletante, dépassée par les événements. A la manière de L’homme rare (autre pièce présentée par Nadia Beugré au Festival d’Automne dans le cadre de son portrait), c’est tambour battant que s’opère le démarrage, opéré par un DJ vociférant, Monsieur Loyal et meneur de revue voguing aux allures de maquereau dressant son cheptel, guidant et entraînant sur la piste saturée par de la grosse sono crachotante six interprètes, transgenres et se jouant des genres, performant et dansant, mordant l’espace avec une énergie proprement fauve comme une époustouflante cavalcade carnavalesque. Prophétique (on est déjà né.es) est un séditieux et effréné charivari. Comme une performance agit prop qui ferait du sale. Chacune de ces figures se singularise par un geste maîtrisé et repris tel un leitmotiv, comme un petit capital que l’on s’attacherait à faire fructifier spectaculairement, qui un dramatique écroulé digne d’un pantin de bois, qui une ironique pulsation de fesse, qui une roue à travers le plateau, chacune spécialiste en son domaine, toutes assemblées dans une entame qui est comme une passe d’arme, chargeant l’espace d’une souterraine violence. Car pour être là, il faut se faire sa place. Nadia Beugré a composé ce spectacle avec des personnes trans rencontrées à Abidjan, mais également d’Europe, du Brésil. Des danseuses dont la principale identité est peut-être de s’affirmer dans un mouvement perpétuel, refusant l’assignation à une place, à un rôle. L’exercice de la performance qui est l’exploration des limites physiques mais également du rapport induit avec le spectateur n’a peut-être jamais été aussi pertinent quand il s’agit de personnes refoulées hors des limites de la société hétéronormée. Il me faut parler d’un moment exceptionnel par sa force et par ce qu’il charrie d’inclassable : les six interprètes s’avançant en ligne vers le public et aboyant avec rage, les six comme une meute de chiens sauvages, comme ceux-là que l’écrivain Jean Rolin a si bien documenté et décrit de par le monde en déshérence dans son livre Un chien après lui. Puis aboiements qui se mueront en gémissements, déchirant l’âme. Ils feront enfin du plateau leur territoire, levant une patte pour le marquer, copulant, s’attroupant, se dispersant. Comme s’il fallait paradoxalement emprunter à l’animal pour avoir accès à ce qui est profondément humain, à ce qui nous unit de par nos différences au-delà des mots.

Signe des temps, Nadia Beugré mettra en scène la tresse, la chevelure crépue comme un cocon protecteur que l’on tisse, natte, ainsi que Rebecca Chaillon peut le faire dans Carte noire nommée désir : ici c’est à la fois le souvenir du salon de coiffure où la plupart travaillent mais c’est aussi le signe d’une communauté qui ne peut exister, encore plus qu’aucune autre, qu’en faisant lien, quand bien même ce lien peut aussi s’avérer servitude. Si la partie centrale de cette pièce accuse une certaine faiblesse, liée à son caractère confus la rendant imparfaitement lisible, comme un manque d’écriture, on ne peut que rester fortement enthousiaste de cette scène ouverte à d’autres vies que les nôtres, comme si (M)imosa (également programmé par le Festival d’Automne au même moment et cosigné par Cecilia Bengolea, François Chaignaud, Marlene Monteiro Freitas et Trajal Harrell), après avoir relocalisé le Judson Church Theatre à Pantin, accueillait dans un sombre garage clandestin ces autres virtuoses habituellement cantonnées aux confins de la marge. A ce bras d’honneur que lèvent vaillamment Beyoncé, Canel, Jhaya Caupenne, Taylor Dear, Acauã El Bandide Shereya, et Kevin Kero, on y joint nos deux mains.

 

© Werner Strouven RHoK

 

 

Prophétique (on est déjà né.es), direction artistique de Nadia Beugré

Scénographie : Jean-Christophe Lanquetin

Création lumière : Anthony Merlaud

Assistant à la direction artistique : Christian Romain Kossa

Interprètes: Beyoncé, Canel, Jhaya Caupenne, Taylor Dear, Acauã El Bandide Shereya, Kevin Kero

 

Durée : 1h15

Du 30 novembre au 3 décembre 2023 à 20h sauf dimanche 16h

 

Centre Pompidou

Place Georges-Pompidou

75004 Paris

Tél : 01 44 78 12 33

 

Avec le Festival d’Automne

www.festival-automne.com

 

 

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