À l'affiche, Critiques // Primera carta de San Pablo a los Corintios d’Angelica Liddell au théâtre de l’Odéon

Primera carta de San Pablo a los Corintios d’Angelica Liddell au théâtre de l’Odéon

Nov 15, 2015 | Commentaires fermés sur Primera carta de San Pablo a los Corintios d’Angelica Liddell au théâtre de l’Odéon

ƒƒ article d’Anna Grahm

corintios_3-samuel_rubio-20150318

© photo Samuel Rubio

La performance d’Angelica Liddell interroge la quête de Dieu et n’hésite pas à endosser la violence de la foi névrotique pour forcer les frontières du bien et du mal. Le souffle poétique qu’elle propose déboussole l’entendement rationnel et bouleverse durablement.

Le début du spectacle oblige à l’effort, car sur la scène, tout est lent, pesant, obscur et silencieux. Ce qui happe d’abord c’est cette Vénus peinte par Titien à la renaissance, ici, démesurément agrandie comme le sont les affiches du métro. Cette magnifique blonde alanguie s’impose par sa beauté, son insolence, son magnétisme, sa nonchalance. Une image de déesse qui s’expose et s’impose imperturbable en regardant droit devant elle. Avec sa main posée sur son sexe, ses longs cheveux défaits, on imagine ce que cet érotisme sans gêne a pu déclencher de fureurs au 16ème.

C’est donc cette invitation à l’amour charnel, ce joyau hypnotique dans son écrin de velours rouge qui exacerbe les sens, et convoque et kidnappe tous les regards. Pourtant si l’époque n’est plus choquée par le désir de la chair, si se montrer dénudé n’est plus un péché, ce qui se prépare va retourner les sangs, va renverser tout sens commun. Et ce n’est pas la pauvre nudité de ce christ tout en barbe et peau cuivrée, conforme à l’iconographie mais tout à fait ridicule, qui donnera les clés d’une quelconque compréhension.

Appelle-moi quand tu veux, jour et nuit, couvre-moi d’amour hurle la chanson de Blondie. Soudain arraché à la torpeur contemplative de la peinture, le public se retrouve projeté sans ménagement dans la ferveur d’un couple qui se déchire et c’est avec la lettre des Communiants de Bergman que la quête effrénée de l’amour prend un tournant plus dramatique.

Mais la recherche de l’image manquante, continue de questionner jusqu’à l’obsession : dieu et l’amour sont-ils la même chose. Cette confusion sonde les conséquences de l’échec de l’amour et amène au paroxysme de l’animalité. C’est, désormais plantée comme un mat que l’actrice délivre à une rapidité ahurissante, sa parole furieuse, et oscille entre divin et folie.

Angelica Liddell a le feu sacré et sait sacrément bien s’enflammer et tout bruler autour d’elle. Quand elle s’empare de sa propre lettre – lettre de la Reine du Calvaire au Grand Amant – elle explose littéralement les zones de confort. Elle ne parle plus, elle crépite, sa langue insensée embrase tout discernement, dévore les facultés de la lucidité, anéantit toute sagesse, ravage toute la beauté du monde et calcine l’espace tragique.

Mais l’entreprise narcissique devient œuvre de destruction devient un abime dans lequel bourreau et victimes se mélangent pour danser. Et il faut bien avouer que la vue de ces corps de femmes rasées reste une expérience difficile, quasi insoutenable, qui rallume l’effroi d’une barbarie hélas, de retour. Et malgré l’admiration que suscite ce travail édifiant, on a le vertige. Ici le désordre des pulsions est tel que le KO moral n’est jamais loin, que peut-être par crainte de sa radicalité, on s’éloigne de ce mal qui se consume comme des braises jamais éteintes. Tout comme ces poutres tombées des cintres qui évoquent l’effondrement toujours possible de nos plus précieuses constructions, l’artiste se transforme en sorcière, traverse tous les enfers, pour convoquer l’humiliation, la honte et l’abjection.

Si le spectacle est une épreuve largement dérangeante, pour certains publics, une série de transgressions déstabilisantes ou gratuites, il est aussi une représentation toute théâtrale de nos impensés soumis à la seule bonne conscience, il est aussi un appel à repenser nos liens et devenirs humains.

Primera carta de San Pablo a los Corintios d’Angelica Liddell
Assistant à la mise en scène Julio Provencio
Lumière Carlos Marquerie
Son Antonio Navarro Vera
Traduction Christilla Vasserot
En espagnol et suédois surtitré
Avec Victoria Aime, Angelica Liddell, Sindo Puche en alternance Ugo Giacomazzi, Borja Lopez

Du 10 au 15 novembre 2015
20 h

au théâtre de l’Odéon
place de l’Odéon paris 6ème

réservations :  01 44 85 40 40
theatre-odeon.eu

Be Sociable, Share!

comment closed