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Presque égal à de Jonas Hassen Khemiri, mise en scène de Laurent Vacher, la Manufacture, Nancy

Nov 12, 2019 | Commentaires fermés sur Presque égal à de Jonas Hassen Khemiri, mise en scène de Laurent Vacher, la Manufacture, Nancy

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

ƒƒƒ article de Corinne François-Denève

Qu’est ce qui a pu pousser Mani à se retrouver, un soir, sur le bord d’un toit, en équilibre instable, méditant sur sa chute et l’inflexion, si banale et si pathétique, qu’a pu prendre sa chienne de vie ? Magie du théâtre : le fil qui le retient (à un fil, donc, entre la vie et la mort), se retend. Mani se redresse, et nous allons entendre son histoire. Mani est chargé de cours à l’Université. Sa spécialité ? L’économie. Son rêve ? Faire imploser de l’intérieur le capitalisme qui gangrène la société. Sa faute ? Aucune, sans doute, sauf celle de n’avoir pas été suffisamment conciliant, peut-être, pour se voir confier un poste fixe – et voilà la descente dans la précarité, l’abandon de ses illusions, la fin de son couple.

De double nationalité tunisienne et suédoise, Jonas Hassen Khemiri est un des plus grands noms de la scène scandinave d’aujourd’hui. Invasion, monté en 2010 par Michel Didym, avec la complicité, pour la traduction, d’Aziz Chouaki, parlait d’immigration. J’appelle mes frères de terrorisme. L’Apathie pour débutants de cette étrange mélancolie aboulique qui saisit les enfants demandeurs d’asile. Nous qui sommes cent de la condition des femmes dans une société de plus en plus étouffante. Avec Presque égal à, c’est donc à l’argent que Khemiri s’attaque. Rien à voir avec Créanciers de Strindberg, où les dettes n’étaient que morales et psychanalytiques ; ici, il s’agit bien pour le dramaturge d’interroger l’omnipotence du Dieu Mammon sur la société, qu’elle soit suédoise ou française (la traductrice ayant fait le choix de « localiser » la pièce dans un espace compréhensible pour le public français). Mammon, alors que la commande portait sur Frankenstein : on voit que Khemiri a fait le choix du monstre qui lui paraissait le plus effrayant.

La pièce comporte 3 actes, et 20 personnages (ici incarnés par 6 acteurs), tous dotés d’une « parlure » particulière, admirablement rendue par Marianne Segol. Les adresses au public, modernes et métathéâtrales, voisinent avec une dramaturgie très classique, presque mathématique dans la distribution des scènes. Laurent Vacher a donc fait le choix de proposer un plateau qui puisse s’adapter aux transitions de scènes, aux changements de décor et à cette esthétique bigarrée : un plateau brut, et des panneaux roulants grillagés, que les acteurs manipulent à vue, et qui permettent de créer tantôt une guérite de bureau de tabac, tantôt un guichet Pôle Emploi, tantôt un ensemble de grandes armoires.

Cinq personnages émergent : Mani, donc, et sa femme Martina, lasse peut-être de sacrifices, et en tout cas tenaillée par sa petite voix (économique) qui l’incite à devenir cynique et profiteuse, comme les autres. Andrej, l’échalas en jogging, qui échoue à s’insérer (mais est-ce sa faute ?) Peter le SDF, trop convaincant dans son rôle pour être honnête et vraiment pauvre. Et Freya, la bonne Samaritaine qui… ne l’est sans doute pas tant que cela, mais elle a ses raisons : il faut bien vivre, et surtout gagner sa vie.

Presque égal à a un propos sérieux, mais fait aussi rire de très bon cœur, tant l’écriture de Khemiri est fine, et le jeu des acteurs remarquable et engagé. Le public se laisse emporter dans les aventures picaresques de ces personnages cabossés par l’existence, grands perdants du jeu. Et puis viendra le noir final, qui laissera coi et le cœur serré. Mammon n’a décidément aucun amour pour ses enfants.

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

Presque égal à de Jonas Hassen Khemiri
Traduit du suédois par Marianne Segol-Savoy / Éditions Théâtrales, éditeur et agent de l’auteur

Mise en scène Laurent Vacher

Collaboration artistique Faustine Noguès
Scénographie Jean-Baptiste Bellon assisté d’Alice Girardet
Lumière Victor Egéa
Son et musique Michael Schaller
Costumes Virginie Alba
Avec : Quentin Baillot, Pierre Hiessler, Odja Llorca, Frédérique Loliée, Alexandre Pallu, Marie-Aude Weiss

 

Du 5 au 8 novembre 2019 à 19 h (le jeudi) et 20 h

 

Durée 2 h avec entracte

 

Théâtre de la Manufacture
10, rue Baron Louis

54 000 Nancy

 

Réservation au 03 83 37 42 42

www.theatre-manufacture.fr

 

Tournée

Du 12 au 14 novembre à Espace BMK, Metz

Les 26 et 27 novembre 2019 à Château-Rouge, Annemasse

 

 

 

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