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Pourama Pourama, texte et conception de Gurshad Shaheman, au Nouveau Théâtre de Montreuil / Festival Croiser les regards

Mar 11, 2019 | Commentaires fermés sur Pourama Pourama, texte et conception de Gurshad Shaheman, au Nouveau Théâtre de Montreuil / Festival Croiser les regards

© Jeremy Meysen

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Pourama Pourama, titre énigmatique et clef de trois récits qui se répondent l’un l’autre. Objet hybride, entre théâtre, installation sonore et performance où le spectateur est le centre d’un dispositif, témoin et acteur tout à la fois d’un récit d’apprentissage et d’émancipation. Touch me, premier récit, celui de la petite enfance en Iran, après la révolution et pendant la guerre Iran-Irak. L’éducation d’un père qui refusait tout contact physique, prônant la pudeur absolue, ni caresses ni coups, déniant toute manifestation corporelle, sang et larmes, pisse, excréments. Et dans ce vide-là, cette absence de contact, cette volonté rigide et froide de contrôler son corps, dans cette béance vertigineuse, se cristallisera l’avenir de Gurshad Shaheman. Et pendant que s’égrène ce récit, superbe écriture, Gurshad est là, parmi les spectateurs, immobile qui attend. Et nous, invités à porter le masque du père, un masque de carton, sommes soudain sollicités. Le récit ne dépend que de nous, de l’étreinte donnée, de la main tendue et prise sans lesquelles ni le récit ni la performance ne peuvent exister. Qu’un spectateur se dérobe et le récit s’interrompt. Alors volontaire, chacun de nous, chacun à notre tour, bouleversé il faut le dire, prenons à bras le corps ce grand gaillard comme nous consolerions un enfant à jamais blessé. Un geste de réparation. Mais pas seulement. Dans ce geste-là qui supplée au manque se révèle déjà chez l’enfant une quête plus tard poussée à son paroxysme et son paradoxe, énoncée dans Trade me, dernier volet de ce tryptique. Et pendant que chante Googoosch, chanteuse iranienne soumise au silence par la révolution des mollahs, idole de la mère de Gurshtad Shaheman, nous entrons dans la cuisine de celle-ci. Second volet de ce tryptique, Taste me où vêtue de la robe de sa mère, il nous reçoit. Récit de l’exil en France, formidable portrait pétri d’amour et d’admiration pour une mère sacrifiée par la révolution, puis par son divorce, qui ne savait pas cuisiner. Apprentissage du français pour lui, pourama pourama trouve ici son explication, premiers émois adolescents, découverte de son corps, révélation de son homosexualité. Et pendant que le repas se prépare, un plat traditionnel que cuisine devant nous Gursthad, bientôt servi par le même, c’est ce lien irréfragable avec celle que même un secret glissé entre ces deux-là qui s’aiment de façon fusionnelle et maladroite, terrible et lentement dévoilé, ne peut détruire. Le repas comme lieu d’une révélation, d’une confidence qui dénoue sèchement l’enfance, éclaire brutalement la fracture de l’adolescence, acte avec fracas l’entrée dans le monde adulte. Trade me, dernier volet, récit d’émancipation, d’une réappropriation de soi, de la conquête chaotique de ce corps tabou, de son expression, et jusque-là interdit par l’éducation reçue. Expérience du corps marchandé, de la passe tarifée. Récit cru et sans limite d’une prostitution de hasard et consentie. Mais ce qui se joue là, de client à escort, n’est pas dans le rapport sexuel et l’argent reçu mais dans la rencontre, la quête de deux êtres soumis aux mêmes interrogations, leur rapport au corps, à la sexualité. Leur solitude. Leur appréhension, leur peur. Formidable et intelligent dispositif scénique qui nous voit pénétrer par tirage au sort, un à un, dans cette chambre, cette alcôve au centre du plateau. Là et chacun notre tour, recevons les confidences sans fard de Gurshad Shaheman. Nous sommes pour quelques minutes ce client, cet amant, cet ami, ce confident à qui adressé. Acteur plus que voyeur tant nous sommes happés par cette performance et son dispositif, lequel vous protège de la violence de ce qui, parfois, est énoncé. Protégé aussi des regards pour un temps, le temps d’un fragment, le récit d’une passe ou d’un amour déchiré. Et ce qui se passe là, dans cet espace clos, à l’abri tout relatif des autres spectateurs qui entourent cette chambre et dont ils n’ont qu’une vision brouillée, à le goût rare du secret partagé. Etrange et fascinant jeu trouble entre l’intime et sa révélation. Et dans cette chambre ardente c’est toute la complexité d’une réalité, d’une humanité mise à nu, délestée pour un court instant et quelques francs de ses préjugés, fragile parfois, qui éclate. Ces trois récits qui n’en font qu’un, qui résonnent entre eux, se répondent, par un subtil jeu d’écriture pendulant d’une temporalité à une autre, d’une géographie à une autre, qui voit soudain des éclats épars d’une vie comme autant d’indices donnés, soudain s’emboîter et éclairer ce récit d’un jour nouveau et cohérent. La cohérence même du parcours singulier de Gurshad Shaheman. Plus qu’un exil et la séparation, plus qu’une traversée d’un pays à l’autre, plus qu’un passage d’une culture à une autre, sans abandon de l’une au profit de l’autre, plus que tout ça donc et tout ça à la fois, c’est un voyage intérieur, intime et l’affirmation d’un corps et par lui affranchi désormais des préjugés, un regard empreint de compassion au sens strict du terme sur l’exil intérieur, le combat de ceux qui traversent les apparences pour atteindre leur vérité profonde et leur identité réelle. Le dispositif scénique est d’autant plus pertinent et réfléchi pour chaque partie, expérience sensorielle et immersive qui vous englobe et impacte d’une façon ou d’une autre, en accord parfait avec ce qui est énoncé, qu’il oblige chacun des spectateurs à s’affranchir aussi de leurs rôles pour à leur tour être acteurs de cette performance, engagés et volontaires, libres de refuser les sollicitations de Gurshad Shaheman, signant ainsi de fait la fin possible de cette performance. Mais qui pourrait résister à ouvrir ses bras pour accueillir cet enfant, cet adulte résilient ? Refuser ce repas, tesselle d’un Iran devenu lointain ? Entrer dans cette chambre des mystères pour consoler de sa présence ? Aussi bien pour entendre la suite d’un récit exemplaire que pour un soir se débarbouiller de ses propres jugements, accepter l’altérité. Au risque de chanter au sortir de cette création vibrante et sensible, bouleversante, parfois très drôle, qui ne tombe jamais par sa vérité et sa justesse dans l’exhibitionnisme et la vulgarité, cette chanson de Patricia Kaas : « Les hommes qui passent, maman, pourama, pourama… » Qui jamais pourrait soupçonner l’influence de Patricia Kass sur le destin des adolescents en exil ?

 

© Barbara Laborde

 

 

Pourama Pourama texte et conception de Gurshad Shaheman

Avec Gurshad Shaheman

Création sonore, enregistrement et mixage Lucien Gaudion

Création lumières et régie générale Aline Jobert

Scénographie Mathieu Lorry-Dupuy

Conception, régie vidéo Jérémy Meysen d’après les dessins originaux de Yasmine Blum

Assistant mise en scène (pour Trade me) Anne Sophie Popon

Regard dramaturgique Youness Anzane

Assistant scénographie et fabrication décor Julien Archieri

Assistant scénographie Ava Rastegar

 

Du vendredi 8 au dimanche 17 mars 2019

Vendredi à 19h, samedi à 18h, dimanche à 17h

Relâche du lundi au jeudi

 

Nouveau Théâtre de Montreuil-CDN

10 place Jean-Jaurès

93100 Montreuil

 

Réservations 01 48 70 48 90

www.nouveau-theatre-montreuil.com

 

Tournée

03 & 04 avril 2019

Théâtre du Manège, Maubeuge

 

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