© Christophe Raynaud de Lage
ƒƒƒ article de Sylvie Boursier
Atrée, l’ancêtre des Atrides, avait un frère, Thyeste, qui lui contestait son pouvoir et séduisit sa femme (quel manque de tact !) ; Atrée le chassa, puis fit semblant de se réconcilier avec lui en l’invitant à un banquet, où il lui offrit la chair de ses enfants hachée menue. Quand Thyeste comprit ce qu’il mangeait, il eut du mal à digérer et maudit toute la famille. A partir de là tout est gore, Agamemnon, sacrifie sa fille Iphigénie, Clytemnestre zigouille son époux Agamemnon, et sera elle-même trucidée par ses propres enfants, Oreste et Hermione. Ils avaient déjà tout compris de l’espèce humaine les tragiques grecs, Eschyle avec l’Orestie, Sophocle et Euripide avec Iphigénie en Tauride, Médée, Andromaque. « La Grèce n’en a rien à faire de cette histoire de cul entre Hélène et Pâris », dit Clytemnestre, et pourtant la guerre de Troie aura bien lieu. Elle s’achèvera par la prise de Troie, avec l’entrée dans la ville d’un cheval de bois contenant les guerriers grecs qui pillèrent, massacrèrent et violèrent. Athéna, devant leur impiété, se retourna contre eux, et fit du retour en Grèce un désastre où ils périrent presque tous. Elle sauva Ulysse, qui erra pendant dix ans.
L’Age des héros et des dieux, ainsi que le récit de Jean François Sivadier, Portrait de famille, une histoire des atrides, s’achèvent là où commence l’avènement de la justice humaine mais la devise des Atrides « sang pour sang » reste d’actualité. « Le cycle infernal des chutes et des révolutions » d’une « humanité amnésique » n’a pas de fin et le monde court à sa perte sans pouvoir accuser les dieux cette fois ci, telle est la tragique conclusion de toute cette histoire.
La mise en scène de Jean-François Sivadier, monumentale autant que simple, met en avant la mécanique du pouvoir et l’engrenage de la violence. Il réécrit brillamment cette histoire universelle et grandiose, dans un geste shakespearien qui mélange allègrement tragique et bouffon, épopée fantastique et farce, récit hippique d’une course de char (en alexandrins !) et reportage dans le camp grec à Troie (impayable Arthur Louis-Calixte dans le rôle d’Homère avec son calepin).
Le plateau XXL se démultiplie, les quatorze comédiennes et comédiens de la promotion 2023 du Conservatoire sont quasiment toujours sur scène ou dans la salle au rythme des apparitions successives des personnages qui surgissent de partout pour défendre leur bout de gras. A la manière d’un thriller, ils déboulent tels des animaux prêts à en découdre, rendus vivants par le théâtre pour lequel ils sont fait et dont ils n’ont pas l’intention d’être évincés dans une mise en abyme chère à Pirandello. Iphigénie (émouvante Olivia Jubin) rappelle à quel brillant destin elle était promise si son père n’avait pas décider de la sacrifier. « Suis-je ou ne pas suis-je ? » déclare Clytemnestre dans une déclamation truffée d’imparfaits du subjonctif, hommage hilarant au maître anglais (remarquable Marie Gramond, dans le grave comme dans la parodie) tandis que le fantôme fumant d’Atrée fait de courtes apparitions tel celui d’Hamlet. Nous sommes les citoyens d’Argos embarqués dès le début dans une histoire à dormir debout de pomme qui met le feu aux poudres. Sébastien Lefebvre, coryphée d’un prologue savoureux, introduit le récit avec des dérapages verbaux dignes de Pierre Repp. L’éternité c’est long surtout à la fin semble dire la déesse Artémis vautrée sur l’Olympe, qui prend le relais en meneuse de revue (éclatante Manon Leguay) et nous prépare au grand pétage de plomb de cette famille maudite.
Faire du théâtre avec rien ou presque, des panneaux, des étendards, quelques fumerolles et roulements de tambour, des toiles peintes avec force hémoglobine versée à vue, voilà une mise en scène qui ne craint pas de montrer les coulisses d’un spectacle et fait confiance à la puissance de jeu d’un groupe complice, tous devraient être cités.
Dans la dernière partie, Jean-François Sivadier réussit, sans nous perdre, à enchâsser les histoires, celle des Atrides et celle d’un groupe de branquignoles qui tente de la jouer, autre hommage au maestro élisabéthain du Songe d’une nuit d’été. Rodolphe Fichera est l’étonnant René (sans Céline !) de cette troupe de saltimbanques à l’accent wallon. Son côté lunaire, sa maigreur et sa voix grave rappelle le grand Sacha Pitoëff, folie en moins et vis comica en sus.
Portrait de famille, une histoire des Atrides, épatante mythologie grecque, une machine théâtrale increvable quand elle est mitonnée par un chef hors-normes et une troupe incandescente !
© Christophe Raynaud de Lage
Portrait de famille, une histoire des Atrides, écrit et mis scène par Jean-François Sivadier
Lumière : Jean-Jacques Beaudouin
Costumes : Valérie Montagu
Son : Jean-Louis Imbert
Scénographie : étudiants en 4° année des Arts Décoratifs
Avec : Cindy Almeida de Brito, Marie Gramond, Mohamed Guerbi, Elena El Ghaoui, Olivia Jubin, Rodolphe Fichera, Aristote Luyindula, Alexandre Patlajean, Manon Leguay, Arthur Louis-Calixte, Olek guillaume, Sébastien Lefvre, Marcel Yildiz
Durée : 3h50 avec entracte
Théâtre de la Commune
2 rue Edouard Poisson
93300 Aubervilliers
Jusqu’au 29 septembre 2024 du mercredi au vendredi à 19h, samedi à 18h et dimanche à 16h
Réservation : 01 48 33 16 16
www.lacommune-aubervilliers.fr
Tournée :
18 au 29 septembre 2024 : Théâtre de la Commune – CDN Aubervilliers
4 et 5 octobre 2024 : Carré Sainte Maxime
13 et 14 novembre 2024 : La Coursive, Scène Nationale de La Rochelle
7 et 8 février 2025 : TAP, Scène Nationale de Poitiers
12 et 13 février 2025 : L’Azimut – Antony/Châtenay-Malabry
19 au 21 mars 2025 : La Comédie de Béthune, CDN Hauts de France
19 au 29 juin 2025 : Théâtre du Rond-Point, Paris
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