© Kurt Van Der Elst
ƒƒƒ article de Sylvie Boursier
Une soirée de folie avec deux égotistes associés ! Harpagon ne veut rien lâcher quand Jourdain donne tout pour qu’on parle de lui à la cour, le pète-sec paranoïaque sur les épaules du gros mamamouououou… chi tels Louis de Funès et Bourvil dans La grande Vadrouille.
Les comédiens du collectif STAN sont déjà là quand le public s’installe, prêt à en découdre autour d’une grande estrade en bois comme un ring de catch au milieu des spectateurs. Avec Molière, génie des prologues, la planche d’Harpagon est savonnée d’emblée, sa fille Elise lui taille un costume, son fils Valère nippé de loques et chaussé de brodequins rafistolés est obligé de mendier sa maigre pitance, on a hâte de voir la bête. Et voilà le grand Willy Thomas qui arrive, l’échalas se balance nerveusement, lève les bras au ciel, prêt à éructer à la moindre contrariété, vêtu d’un costume noir élimé de clerc de notaire. Cauteleux tel un vieux singe, vieux beau défraîchi, on mugit d’horreur à sa vue ou on miaule carrément comme Els Dottermans dans le rôle de Frosine qui a le comique dans le sang et chante divinement bien. Le monologue du voleur volé vire à M le Maudit, Sir Thomas se crucifie au rideau, hagard, soupçonne chaque spectateur, un grand fauve en délire.
Damiaan De Schrijver, ogre des Carpates à la barbe d’ermite est un bourgeois débonnaire ravi de la crèche et sincèrement émerveillé de ses découvertes. On n’oubliera pas de sitôt son initiation au maniement des armes, en justaucorps blanc et tutu rembourré (c’est une turquerie ballet !), bedeau bedonnant à l’allure de biker il mâchouille chaque mot, déglutit les a, e, i, o, u s’extasiant du nombre impressionnant de voyelles et prenant le public à témoin.
Ces Flamands ont le théâtre à l’estomac, un jeu organique, gourmand, farcesque et un esprit de troupe. Après chacun de leur passage au plateau, ils se regardent jouer comme si le spectacle se créait sous leurs yeux. On imagine bien Molière comme ça au début de l’Illustre Théâtre, lui qui s’amusait comme un enfant, sans inhibition, allait chercher le public avec les dents et improvisait au gré des circonstances, comédien parmi les siens avant d’être metteur en scène, auteur, régisseur, comptable. Ils jouent dans le feu de l’action et prennent des risques, le trou après une improvisation, un dévissage consécutif à une embardée hors du plateau ; leur mise en danger nous touche, alors qu’ils ont tant de kilomètres au compteur. Le soir de la première Jolente De Keersmaeker a chuté de la scène, étourdie, elle s’est progressivement reconnectée au groupe ; quelque chose peut échapper à une mécanique qui ne paraît pas huilée, un spectacle vivant, oui vraiment. Chapeau à eux d’honorer la belle langue de Molière avec ses imparfaits du subjonctif, ses formules désuètes, ses jeux de mots fleuris, cette versification musicale. L’accent flamand donne aux répliques culte un parfum d’exotisme, comme une envie de bière belge mousseuse et d’un cornet de frites au fond d’une brasserie chaleureuse de Bruxelles.
Vous l’avez compris, c’est hénaurme, guignol’s band chez les monomaniaques sans perruques poudrées, si Poquelin voyait ça, il aurait le cœur en joie.
© Kurt Van Der Elst
Poquelin II, L’Avare et Le Bourgeois Gentilhomme de Molière
Adaptation et mise en scène : tg STAN (Theater group : stop talking about names)
Lumière : Thomas Walgrave
Costumes : Inge Büscher
Jeu : Jan Bijvoet, Jolente De Keersmaeker, Damiaan De Schrijver, Els Dottermans, Bert Haelvoet, Willy Thomas, Stij Van Opstal
Durée : 3 h
Du 08 au 19 décembre à 19 h 30 dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
Dimanche 18 à 17 h
Relâche le dimanche 11 et jeudi 15 décembre 2022
Théatre de la Bastille
76 rue de la Roquette
75 011 Paris
Réservation :
01 43 57 42 14
www.theatre-bastille.com
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