À l'affiche, Critiques // Polyeucte de Corneille mis en scène par Brigitte Jacques-Wajeman au Théâtre des Abbesses

Polyeucte de Corneille mis en scène par Brigitte Jacques-Wajeman au Théâtre des Abbesses

Fév 06, 2016 | Commentaires fermés sur Polyeucte de Corneille mis en scène par Brigitte Jacques-Wajeman au Théâtre des Abbesses

article d’Ulysse Di Gregorio

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© Mirco Magliocca

Polyeucte, grand seigneur d’Arménie, est marié depuis quinze jours seulement à Pauline, fille du gouverneur romain de la Province. La fulgurance de la conversion de Polyeucte au christianisme est au cœur de l’action et donne à voir la puissance du conflit religieux qui s’exerce entre polythéistes et monothéistes, entre deux croyances profondément divergentes, entre deux visions du monde que tout oppose. Félix, le père de Pauline, incarne l’autorité romaine et la haine de l’empereur Décie envers les chrétiens et donc envers son gendre tout juste baptisé. Cette haine sera d’autant plus accentuée avec le retour de l’ancien amant de Pauline, désormais héros de guerre et favori de l’empereur dont Félix redoute la vengeance.

Au centre de la scène, le lit nuptial d’un blanc satiné présente une Pauline abandonnée au sommeil, tandis que son époux, Polyeucte, la regarde avec amour. Cet élément scénographique fortement symbolique se révèle central durant les trois premiers actes de la pièce. Il est le symbole du mariage et de la chair au sein du couple de Pauline et de Polyeucte, mais aussi celui de la trahison ressentie par Sévère lorsqu’il revoit Pauline. Brigitte Jacques-Wajeman donne d’emblée à comprendre au spectateur l’intensité des rapports charnels entre les personnages, et par conséquent le dilemme que subit Pauline entre son époux et son ancien amant. La mise en scène est volontairement ancrée dans un contexte contemporain grâce aux costumes, et trouve un écho dans les questions que le fanatisme religieux adresse à notre société. Malheureusement, le tragique inhérent à l’œuvre de Corneille est balayé par la façon dont la conversion de Polyeucte est traitée. En effet, le héros apparaît comme un homme en perte de repère, en proie à la folie, ce qui rend incompréhensible la peur extrême de Félix et la colère de Pauline qui pressentent tous deux le renversement du monde auquel ils sont attachés. Est-ce par un conformisme à l’égard des préjugés qui sont les nôtres, que la fin de l’œuvre de Corneille se trouve ici tronquée ? Le personnage de Sévère se met à citer Nietzsche, les vers de Corneille semblant tout à coup n’être plus à la hauteur. Montons Polyeucte car l’actualité de la pièce est formidable, mais faisons dire à l’œuvre seulement ce que nos préjugés nous donnent déjà à entendre, – ce qui par là même nous évite d’écouter, fût-ce de manière critique et interrogative, le sens de l’œuvre vers laquelle on s’est tourné. Un tel parti nous amène en outre à croire qu’une pièce de théâtre se résume à une seule thèse, et supprime la diversité des voix des personnages, qui tous ensemble nous font entendre une pensée complexe, et non une pensée à voie unique.

Polyeucte
de Pierre Corneille
Mise en scène Brigitte Jaques-Wajeman
Scénographie & costumes Emmanuel Pedduzi
musique et sons Stéphanie Gibert
lumière : Nicolas Faucheux
conseillers artistiques François Regnault, Clément Camar-Mercier
maquillages  Catherine Saint-Sever
avec Pascal Bekkar, Pauline Bolcatto, Clément Bresson, Timothée Lepeltier, Aurore Paris, Marc Siemiatycki, Bertrand Suarez-Pazos

Du 4 au 20 février à 20h30, les dimanches 7 et 14 février à 15h

Théâtre des Abbesses
31 rue des Abbesses Paris 18
http://www.theatredelaville-paris.com/aux-abbesses
Location : 01.42.74.22.77

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