ƒ Article de Victoria Fourel

Au détour d’un hasard, Mado, prof d’Histoire de gauche, tombe nez à nez avec l’amour. Celui qui la prend de court, celui qui l’étonne, celui qui lui fait oublier l’élection décisive qui pourrait voir le Front National vainqueur. Sauf qu’Alexandre, lui, milite pour le Front, et il y a même sa place en cas de victoire.

Salomé Lelouch, écrivaine de moments de société dans ses créations, explore ici ce que portent nos convictions. Femme de gauche convaincue, bobo mue par la peur du FN, Mado peut-elle tomber amoureuse – et le rester -, d’un homme qui a sa carte au parti ? Nos croyances et opinions peuvent-elles faire bon ménage avec nos sentiments, nos attirances ? Est-ce s’oublier que de se lancer dans une relation sans communauté de pensée ? L’auteure metteure en scène marque un point avec ce sujet intelligent mais aussi profondément ancré dans la comédie. Et elle en profite pour faire le portrait d’une génération tiraillée entre une gauche sûre d’elle qui se complaît dans un militantisme mou et dans les bons sentiments, et un désir de durcissement, de droitisation. Il y a un vrai débat, et cette rencontre d’amour et de politique a ses petits moments de justesse et d’humour.

Malgré un évident désir d’expérimenter et de tester cette histoire au plateau, le spectacle se heurte à un problème d’écriture : comment raconter ça sans tomber dans les stéréotypes, sans passer par les personnages un peu faciles, par les longues disputes. S’en suit une difficulté à jongler entre propos, réalisme et humour, un blocage. On n’est pas vraiment surpris, et on ne va pas au bout de ce que l’on espérait : imaginer ce qu’il pourrait se passer, jouer avec l’imaginaire, tester vraiment. Et ce, jusqu’à un final en demi-teinte. Tout l’intérêt de parler de politique et d’amour dans une société empreinte de repli et d’incertitude, c’est de ne pas désigner un gagnant, pas forcément de « décider » si le FN est un danger, et si oui ou non il peut gagner, mais de tester les sentiments, chercher à comprendre à quel point nos croyances et opinions sont ancrées plutôt que conscientes et maîtrisées. En proposant une ellipse et en donnant un résultat à cette élection, on perd le plaisir de l’imaginaire, celui de s’écrire sa propre Histoire de France. Mais aussi et surtout, cela fixe en quelques secondes et sans panache, une histoire d’amour construite tout au long du spectacle.

De la même façon, tout ce que soulève ce sujet est transposé au plateau par une mise en scène assez cinématographique, qui multiplie les transitions au noir en musique, alors même que le spectacle jouit d’un joli décor roulant asymétrique, qui pourrait toujours être déplacé en lumière, et ainsi donner du rythme, théâtraliser l’ensemble. Sur le papier, le sujet est hyper séduisant, avec quelques beaux moments pour les comédiens. Une fois porté au plateau, il est traité avec une imagination moins féconde qu’espéré, autant visuellement que dans la direction prise. On a malgré tout très envie de rêver aux questions que soulève cette toute nouvelle création : va-t-on se couper de nos convictions pour trouver l’amour dans un monde froid, ou va-t-on s’accrocher à notre camp, à notre parti ?

Politiquement correct
Mise en scène Salomé Lelouch
Avec Rachel Arditi, Thibault de Montalembert, Ludivine de Chastenet, Bertrand Combe, Arnaud Pfeiffer

Du mardi au samedi à 21h. Matinée le samedi à 16h.

Théâtre de la Pépinière
7 rue Louis Legrand– 75008 PARIS
Métro Opéra (lignes 3, 7, 8, RER A)
Réservation 01 42 61 44 16
www.theatrelapepiniere.com

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