© Simon Gosselin
ff article de Isabelle Blanchard
Cette pièce est la première d’un projet de triptyque. Alexandra Badéa nous propose une pièce extrêmement précise et documentée sur un fait historique peu connu de la seconde guerre mondiale, le massacre perpétré par la gendarmerie française dans le camp de Thiaroye, au Sénégal, de tirailleurs sénégalais à leur retour du combat auprès des alliés contre les forces nazies.
Trois générations se mèlent et se rencontrent. Ainsi Amar, aidé par Nina, la femme qu’il aime, tente de retrouver son père disparu sans laisser de trace, après avoir été réquisitionné par l’armée française pendant la Deuxième Guerre Mondiale. De nos jours, Nora, à la mort de son père journaliste, retrouve des documents préparatoires à un reportage sur le massacre de Thiayore dans l’ordinateur du défunt et décide de continuer l’œuvre de son père. Elle se plonge dans les archives où s’entremêlent dépositions des descendants des victimes, réflexions d’historiens, de sociologues, jusqu’à découvrir le témoignage d’Amar. Elle retrouve alors Biram, fils d’Amar. Enfin, Régis découvre à la mort de son grand-père un journal qui retrace son parcours dans la guerre.
Ce fait marquant, affreux, nous le découvrons au fil de la pièce au gré des découvertes des personnages à travers leur enquête d’identité comme un puzzle qui se construirait devant nous. La quête de vérité familiale de chaque personnage le mène à ce charnier. La metteure en scène questionne : comment vivre, grandir, entouré de secrets, de non dits, quand nos parents préfèrent taire des faits douloureux ou vils. Comment vivre dans une société qui n’a pas réglé son histoire et n’est pas capable de la regarder dans les yeux ? Que transmettre à nos enfants ? Quelle est notre responsabilité face aux générations futures ? Et finalement qu’est-ce qu’être quelqu’un de bien ?
On ressent une grande générosité dans cette pièce. Une générosité des mots, du travail fourni de documentation qui nous est restitué, des comédiens aussi qui donnent sans compter à faire vivre leur personnage. La metteure en scène questionne beaucoup mais n’est jamais dans le jugement. Chaque personnage est décrit mais jamais mis au pilori, chacun tente de vivre, ou survivre, de mieux possible avec sa vie, ses actions, ses vérités et l’histoire qui lui est léguée.
J’aurais toutefois aimé, qu’Alexandra Badea fasse plus confiance au spectateur et permette des moments de non dit, de respiration, d’évocation. Elle semble douter de notre capacité de compréhension. Certes, je comprends que pour cette restitution historique il faille être précis mais à force de tout décrire, d’appuyer trop les propos et les sentiments des personnages, on se sent comme un enfant un peu benêt à qui on explique ce qui se déroule.
La scénographie, comme les liens qui se tissent entre les histoires individuelles et la grande histoire prend sens au fil des événements, ainsi ce sable rouge au devant de la scène, si esthétiquement beau et que l’on effleure, puis sur lequel on marche et se couche devient monstrueux quand il finit par symboliser le charnier et sang des martyrs.
Un écran comme une fenêtre sur le monde passe des images d’extérieur selon le personnage et l’histoire en scène. Ce dispositif très joli visuellement participe parfois à l’impression de « sur-explications » et parfois est une ouverture sur le monde de ceux qui ne sont plus là, donne un souffle, nécessaire face à cette histoire si éprouvante.
C’est un travail documenté, nécessaire et généreux qui a le mérite de nous rendre enfin une histoire cachée trop longtemps.
© Simon Gosselin
Texte et mise en scène Alexandra Badea
Avec Amine Adjina, Madalina Constantin, Kader Lassina Touré, Thierry Raynaud, Sophie Verbeeck et Alexandra Badea
Scénographie et environnement visuel Velica Panduru
Musique originale Nihil Bordures
Lumières Sébastien Lemarchand
Chef opérateur Sorin Dorian Dragoi (RSC)
Montage David Dubost
Assistanat à la mise en scène Amélie Vignals
Voix Séphora Pondi et Frédéric Fisbach
Réalisation documentaire radio Nedjma Bouakra
Du 19 septembre au 14 octobre à 20h
Du mercredi au samedi à 20h, le mardi à 19h et le dimanche à 16h
Durée 2 h
Théâtre de la Colline
15 rue Malte-Brun
75020 Paris
Réservations 01 44 62 52 52
www.colline.fr
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