© Giovanni Cittadini Cesi
ƒƒƒ Article de Sarah Kellal
Une voix, dans le noir : « Petite fille. Petite fille. Je ne peux plus rien pour toi. Tu n’as pas d’autre choix que de grandir. Grandir, grandir… Petite fille, l’avenir est devant toi. Démerde-toi. »
Lumière. Un plateau, sobrement décoré d’un vélo d’appartement devant lequel souffle un ventilateur, d’un portant où est suspendue une fourrure et d’une bassine d’eau. Une jeune femme grande et longue surgit sur scène, portant en elle dans le silence quelque chose d’un défi porté à cette voix et à son injonction. Une heure durant, l’excellente Manon Kneusé va donc tenter de se démerder et donner vie à Cassandre Archambault. Cassandre Archambault vient, elle, révéler Manon Kneusé. Les deux entités s’épousent et s’entremêlent dans un tourbillon de paroles et de corps qui s’agitent. De questions posées à Zeus, au public et au monde entier en anecdotes ; de suspens où le silence s’invite en déflagrations inépuisables de mots… Que d’énergie… D’où l’émotion et le rire surgissent, avec force.
Nathalie Fillion, dans une langue pleine d’adresses, dynamique et percutante mais non dénuée de profondeur, a créé une partition à la mesure du talent de sa comédienne, taillée pour sa démesure. La complicité qui unit les deux artistes est palpable et l’on sent que le plateau et la langue sont pour elles deux un formidable terrain de jeu et d’exploration.
Dans ce long monologue que nous offre Manon Kneusé, jaillit une parole tout en désespoir et en lumière, où l’absurde et le chaos côtoient les petits riens et le sublime de l’existence. La nuit pour épaule et comme échappatoire au chaos du réel, Cassandre Archambault peine à habiter le présent et se réfugie dans ses rêves. Cette Cassandre-là ne nous annonce rien, ne porte pas de parole prophétique. Elle est une anti-Cassandre, qui redit le passé, le fouille mais ne sait rien de l’avenir. Pédalant sur son vélo, noctambule s’élançant nuit après nuit dans une course dans laquelle les temporalités se cognent. Course dans laquelle son corps, son grand corps se déploie et se mesure sous toutes les coutures. Un corps/rempart au monde, un corps/trompe-la-mort et le temps. Naît alors un véritable marathon organique, comme pour conjurer les menaces extérieures et intérieures qui grondent en elle. La tension entre le « Je » de Cassandre, ses préoccupations individuelles, et le « Nous » commun créent des allers et venues et une tension incessante entre le frémissement et le rire…
Nous sommes emportés dans les années 1990, de souvenirs intimes en souvenirs collectifs – temps passé un peu fantasmé – puis ramenés au présent, dans l’intimité d’une chambre sous les toits de Paris où l’errance, les doutes, le monde qui va à mille à l’heure et la menace des violences qui le traversent et qui grondent prennent toute la place. Comment être au monde quand le présent et l’avenir semblent détruits et vains ? Quand le sens déserte les existences, les perspectives ? Quand le chaos et le rythme d’un monde un peu fou écrasent et empêchent les êtres ? Quel est ce monde dans lequel nous sommes jetés ? Comment tenter de laisser la beauté d’être au monde nous éblouir encore ?
Pas de réponses. Et heureusement. Pas de manichéisme. Là est une des réussites de l’écriture. Pas de leçons à tirer. Les préoccupations et questions existentielles de la figure de la trentenaire parisienne auraient pu être un gouffre et un piège à lieux communs. Mais non. Cassandre Archambault n’est pas qu’une figure, elle est. Manon Kneusé et Nathalie Fillion réussissent avec brio le pari d’élever leur personnage au rang d’être.
Il en fallait, de l’élasticité, de la puissance et de la sensibilité pour porter ce beau texte et l’amener jusqu’à nous.
« Regarde, tous ces visages, tous ces yeux, tous ces corps, toute cette chaleur dans le noir, tous ces désirs secrets, ces espoirs, ces cœurs qui battent, qui attendent quelque chose. C’est incroyable. C’est merveilleux… c’est terrifiant. », nous dit Cassandre. Tel est le monde entier semble-t-elle nous dire.
© Nelly Blaya
Plus grand que moi – Solo anatomique, de Nathalie Fillion
Texte et mise en scène : Nathalie Fillion
Avec : Manon Kneusé
Et la voix de : Sylvain Creuzevault
Chorégraphie : Jean-Marc Hoolbecq
Lumière : Jean-François Breut
Adaptée par : Nina Tanné
Son : Nourel Boucherk
Construction décor : Ateliers du Théâtre de l’Union – Alain Pinochet, Claude Durand
Réalisation costumes : Atelier du Théâtre de l’Union – Noémie Laurioux
Scénographie : Nathalie Fillion
Conseils scénographiques : Charlotte Villermet
Théâtre du Rond-Point
2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
Réservations : 01 44 95 98 21
contact.billetterie@theatredurondpoint.fr
www.theatredurondpoint.fr
Métro Franklin D. Roosevelt (lignes 1 et 9) ou Champs-Élysées Clemenceau (lignes 1 et 13)
Bus 28, 42, 73, 80, 83, 93
Vélib’: n° 8031 : 2 rue Jean Mermoz ; n° 8039 : 6 rue du Colisée ; n° 8013 : 24 rue de Marignan
n° 8030 : 25 rue Bayard
Autolib’: 7 Rue François 1er, 38 Rue François 1er, 2 Avenue Matignon
Parking 18 avenue des Champs-Élysées ou 17 avenue Matignon
Taxi borne Rond-Point des Champs-Élysées
01 42 56 29 00
Tournée :
8 et 9 Février 2019
Théâtre Jean Vilar/ Val de Marne (94)
25 mai 2019
Théâtre des Ponts / Aude (11)
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