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Platée, Comédie lyrique de Jean-Philippe Rameau, direction musicale de Marc Minkowski, mise en scène de Laurent Pelly, Opéra-Garnier

Juin 24, 2022 | Commentaires fermés sur Platée, Comédie lyrique de Jean-Philippe Rameau, direction musicale de Marc Minkowski, mise en scène de Laurent Pelly, Opéra-Garnier

 

© Guergana Damianova / OnP

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Première mise en scène d’opéra pour Laurent Pelly, c’était en 1999, et une réussite éclatante, l’opéra de Jean-Philippe Rameau est repris pour la cinquième fois à Garnier. On ne boudera pas notre plaisir. Laurent Pelly a le chic pour ne jamais tirer l’opéra vers des conceptions hasardeuses qui perdent très vite le public et brouillent toute lecture, mais au contraire d’offrir une lecture limpide, scrutant au plus prêt partitions et livrets, ses ressorts musicaux et dramaturgiques, pour en tirer la substantifique moëlle. Avec Platée, c’est évident et vous saute aux yeux. Cette plongée facétieuse dans le marécage d’une nymphe disgracieuse et érotomane, jouet des dieux pour une farce cruelle, est une lecture d’une drôlerie et d’une profondeur qui ne laisse pas le public indifférent. Entendre rire le public dès les premières minutes de cet opéra est un gage du sérieux de l’affaire ! Une scénographie qui renvoie à l’architecture d’un Palais-Garnier (signé Chantal Thomas) les pieds dans le marais, s’effondrant bientôt d’humidité, accusant de fait la théâtralité de cette farce satirique, des costumes joliment vintage et parfois d’une inventivité surréaliste, une direction d’acteur au cordeau (où l’on doit inclure le chœur et les danseurs), une mise en scène hilarante mais d’une grande finesse et sur le plateau un casting vocal d’une grande tenue, où les chanteurs semblent visiblement s’amuser, voire se libérer, aussi à l’aise dans leur partition que dans le jeu, enfin dans la fosse d’orchestre Marc Minkowski à la baguette dirigeant Les Musiciens du Louvre en grande forme, tout ça et plus encore, font de cette création un moment furieusement épatant où la folie semble gagner chacun.

Marc Minkowski qui connait son Rameau jusqu’au bout des doigts fait entendre toutes les nuances de cette partition, son incroyable expressivité, où tonne aussi bien l’orage, que souffle l’aquilon et croassent les grenouilles qu’être prise de langueur ou de fièvre. Ce qui se passe dans la fosse est au diapason exact de ce qu’offre le plateau et la connivence entre le metteur en scène et le chef d’orchestre, ajoutons la chorégraphe, fait ici merveille. La chorégraphe, oui, car Laura Scozzi réussit à ne jamais rompre l’atmosphère ni le fil de la narration. Cela s’enchaîne sans heurt, avec grande fluidité, en toute cohérence. Ainsi du même ton que l’ensemble, les ballets sont d’une ironie certaine, franchement cocasse. Ainsi celui du dernier acte qui voit les danseurs revisiter la carte du tendre version guerre des sexes. Idem avec le chœur, et c’est une des grandes forces de Laurent Pelly, d’en faire véritablement un acteur dramaturgique, non planté là mais toujours en action, qui offre à l’ensemble son unité.

Les chanteurs donc, ne sont pas en reste. Julie Fuchs, la Folie, voix brillante, expressive, aux vocalises aériennes et claires, compose un personnage totalement décalé et irrésistible, avec un bel abatage qui emporte la salle. Ce n’est pas un grain de folie mais un ouragan qui déferle sur la scène. Prise de rôle pour le ténor américain Lawrence Brownlee qui compose une Platée certes ridicule et pataude mais touchante de sincérité, jamais grotesque et d’une subtile poésie. Il donne à cette farce cruelle une humanité batracienne inédite. Et son ample voix de ténor lui permet de nuancer une partition riche d’effet, particulièrement le gaguesque « oi » accentué, chanté comme un croassement dont il varie constamment l’expression. Mathias Vidal (Thespis), Nahuel Di Pierro (Citheron), Reinoud Von Mechelen (Mercure), tous trois d’une heureuse aisance vocale et dramaturgique sont chacun dans leur personnage idoine. Petit faible de votre chroniqueur pour le ténor Marc Mauillon qui associe à une large et belle tessiture un sens du comique irrésistible. Jean Teitgen prête sa voix de basse profonde à Jupiter. (On appréciera au passage son look « Las Vegas », proche en cela d’un Liberace). Face à lui, d’une voix de bronze et fusil en main, Junon en ses fureurs, la mezzo-soprano Adriana Bignagi Lesca est explosive. Et puis il y a toujours des instants suspendus, des incises où tout soudain quelque chose se passe qu’on n’attendait pas forcement (et pourtant il y en a des surprises dans cette création), celui là est donné par Tamara Bounazou (double rôle, L’Amour et Clarine). « Soleil, fuis de ces lieux », air chanté d’une voix cristalline qui tintinnabule encore dans votre tête au sortir du Palais-Garnier… Et puis, et puis mention spéciale à ce batracien, présence omnisciente et consolatrice, qui traverse cet opéra, jusqu’à vouloir, sacrilège, prendre la place de Marc Minkowski. Sans doute ce qui manquait aux dieux dans cette farce cruelle, une part d’humanité.

 

© Guergana Damianova / OnP

 

 

Platée, comédie Lyrique (ballet et bouffon) en un prologue et trois actes

Musique de Jean-Philippe Rameau

Livret : Adrien-Joseph Le Valois d’Orville d’après Jacques Autreau

Direction musicale :  Marc Minkowski

Mise en scènes et costumes : Laurent Pelly

Décors : Chantal Thomas

Lumières : Joël Adam

Chorégraphie : Laura Scozzi

Dramaturgie : Agathe Mélinand

Cheffe des chœurs : Ching-Lien Wu

 

Avec Mathias Vidal, Nahuel di Pierro, Mar Mauillon, Julie Fuchs et Amina Edris (en alternance), Tamara Bounazou*, Lawrence Brownlee, Jean Teitgen, Reinoud Van Mechelen*, Adriana Bignani Lesca*

*début à l’Opéra national de Paris

 

Du 19 juin au 12 juillet 2022 à 19 h 30

A 14 h 30 le dimanche

 

Opéra-Garnier

Place de l’Opéra

75009 Paris

Réservations : 08 92 89 90 90

www.operadeparis.fr

 

 

 

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