À l'affiche, Critiques // Pierre. Ciseaux. Papier. De Clémence Weill, mise en scène Laurent Brethome au Théâtre du Rond Point

Pierre. Ciseaux. Papier. De Clémence Weill, mise en scène Laurent Brethome au Théâtre du Rond Point

Avr 22, 2016 | Commentaires fermés sur Pierre. Ciseaux. Papier. De Clémence Weill, mise en scène Laurent Brethome au Théâtre du Rond Point

ƒƒ article d’Anna Grahm

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©Philippe Berteau

Le spectacle de Laurent Brethome démarre comme une messe télévisuelle. 3 fauteuils, dos au public, se tournent vers lui d’une façon solennelle. La dramaturgie colle au dispositif de The Voice. Dans la lumière qui les encercle, les personnages vont s’animer l’un après l’autre pour délivrer des fragments de ce qu’ils pensent les uns des autres.

Le premier ne craint rien. Il domine la situation. Enfin on dirait. Pour cet esprit carré coulé dans le cadre supérieur, il semble aller de soi que le monde est un terrain de jeu. Pour le moment son costume cravate noir, lui donne une belle prestance et lui sert de trompe l’œil. Enfin on le trouve tout de même un poil suffisant. Et réac. Mais c’est un jeu de conquête auquel il est habitué. Il s’en est toujours sorti gagnant. Il s’est toujours maintenu en haut de la pyramide. Alors il se délecte. Brosse le portrait de sa voisine d’une main de maître. Pas vraiment une adversaire. Enfin pas encore.

Quand à elle, dans son chemisier très échancré, plutôt assez féminine avec sa belle masse de cheveux, elle laisse dire. Sans sourciller. Ne se rebelle pas contre celui qui la traite comme un pion. Pourtant ce qu’il dévoile d’elle l’affadit, l’affaiblit, l’estompe. Enfin, pas tout à fait.

Car sous cette obéissance dans laquelle il l’enveloppe, il y a une guerrière. Le feu sous la glace. On la voit fondre devant le jeune homme. Se tortiller comme un ver. Elle pourrait tout aussi bien être un serpent. Enfin pas tout de suite.

La mise en scène très sobre se concentre sur les mots car les mots fusent à une rapidité dingue, deviennent des projectiles lancés sur des cibles, qui se croient bien protégées dans leurs habitacles. Ils vont viser l’image de chacun, essayer d’atteindre le tréfonds des entrailles. Les beaux parleurs s’amusent comme des fous, et ils n’y vont pas avec le dos de la cuillère pour dynamiter les faux semblants. Ils dénoncent abondamment, tirent de leurs sources, des vérités cachées, nous abreuvent de renseignements, font jaillir des mensonges de plus en plus embarrassants. Chacun d’eux livre ses interprétations de l’autre, lui prête des vies secrètes que tous s’appliquent pourtant à dissimuler. Mais plutôt que de s’avouer perdant, ils préfèrent jouer la carte du cynisme. Sans aucune affectation.

Et si cet homme à la vie bien remplie n’est pas heureux, sa langue de vainqueur ne s’encombre pas de sincérité et crache sur la droiture.

Quant à celle qu’il avait mise en boite, et pétri de servitudes, elle veut, elle aussi, se tailler la part du lion. Celle à l’apparence tranquille, un peu androgyne, possède sous le regard de velours une volonté de fer. Celle qui s’était retrouvée sous cette cloche de verre dans laquelle les hommes ont coutume d’enfermer les femmes, se révèle bien plus subversive qu’elle n’en a l’air. Enfin pas tout de suite.

Elle a d’abord besoin d’un corps. Et ce jeune homme aux allures de week-end prolongé, avec son instinct de l’instant, ce bel animal tellement attirant, si mystérieux, pourrait bien faire l’affaire. Enfin peut-être.

Le texte de Clémence Weill est brillant, juste et percutant. Sous sa plume acérée le monde parfait que chacun s’invente explose et l’on assiste à un renversement, une déflagration des jeux de pouvoirs.

Mais cet empilement de réflexions profondes est si dense qu’on est un peu frustré. C’est écrit avec tant d’intelligence, qu’on aimerait se souvenir de tout, glaner au moins quelques pépites mais il manque des espaces de respiration, de mise en situation propices à la méditation.

Nous restons cependant éblouis par la finesse de jeu de ce trio d’acteurs, tout à la fois placides, emphatiques et magnétiques, qui sait si bien faire glisser les masques. Qui a l’art et l’énergie de faire sauter le vernis des apparences, pour dépeindre les névroses, les cruautés et les naufrages de chacun.

Pierre, ciseaux, papier
Texte Clémence Weill
Mise en scène Laurent Brethome
Assistante mise en scène Anne-Lise Redais
Dramaturgie Daniel Hanivel
Composition musicale Antoine Herniotte
Avec Benoit Guibert, Julie Recoing, Thomas Rortais
Du 19 avril au 14 mai 2016
A 18h30

Théâtre du Rond Point
2 bis avenue Franklin Roosevelt – 75008 Paris
réservations au 01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr

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