© Marie Clauzade
fff article de Denis Sanglard
La Phèdre de Jean Racine a trop longtemps occulté celle de Sénèque. Ecrite en 50 environ après J.C, traduite ici avec une sécheresse flamboyante et une impassible crudité par Frédérique Boyer qui n’élude rien de la violence de ce texte d’une grande concision, cette tragédie romaine est ainsi résumée de façon lapidaire par la nourrice « un sale amour ». C’est une sale affaire en effet que cette passion destructrice où la force irrépressible des pulsions inavouables et transgressives condamne. Tragédie de la parole où Phèdre se condamne par l’aveux, condamne Hippolyte par le mensonge. Phèdre « pire qu’un monstre », ne peut que détruire celui qui la rejette, Hippolyte qui haït tant les femmes leur préférant la chasse. Parole d’Hippolyte renvoyant Phèdre à sa culpabilité. Puissance de cette parole même mensongère qui fait de Thésée à peine sorti des enfers un parricide. Force sans apprêt du discours enfin, celui du serviteur, récit nu et glaçant de la mort d’Hippolyte, le corps déchiqueté et dont il ne reste que des lambeaux.
Nul éclat pourtant, nulle démonstration. Georges Lavaudant choisit la pureté stylistique, une ligne claire et tranchante, effilée comme une lame. Rien, absolument rien qui ne fasse obstacle au texte, architecture de cette mise en scène exemplaire, austère, aride, dénudant les nerfs d’une passion à vif et transgressive. Ni cri, ni fureur, rien qui ne crisse, ne bruisse. La « furor » qui emporte chacun est tout entière contenue dans ce qui est proféré, dans sa raucité et sauvagerie, sa monstruosité, qui se suffit à lui-même. Sur ce plateau nu, dans cette lumière entre chien et loup sculptant les personnages, chaque mot est pesé, chaque phrase est comptée, qui tétanisent lentement les corps, empêchés comme infectés par l’aveu qui sourd. Le seul corps libre de tout mouvement, libre de toute passion, celui d’Hippolyte finit en charpie. En plaçant les personnages au centre du plateau, dans leurs poses souvent hiératiques et diffractées par leurs ombres-portées où dans la parcimonie et l’épure de leurs gestes étudiés, dans ce dénuement absolu Georges Lavaudant fait de cette tragédie un rituel, une cérémonie, un étrange théâtre nô rêvé. Une évidence qui s’impose soudain à nos yeux devant la présence immobile et frémissante d’Aurélien Recoing (Thésée), présence dilatée d’un shité dépouillé de tout artifice, réminiscence claudelienne, ou encore celle de Mathurin Voltz (le messager). On peut ne pas adhérer, rester insensible à cette rigueur, cet ascétisme volontaire. Mais la force et la beauté de ce théâtre-là, qui se mérite, est que dans son épure tranchante il donne à entendre avec une forte acuité les passions qui nous animent et nous détruisent.
© Marie Clauzade
Phèdre, texte de Sénèque
Traduction de Frédéric Boyer
Mise en scène de Georges Lavaudant
Lumières : Georges Lavaudant et Cristobal Castillo-Mora
Son : Jean-Louis Imbert
Avec : Astrid Bas, Bénédicte Guilbert, Aurélien Recoing, Maxime Taffanel, Mathurin Voltz
Régisseur général : Nicolas Natarriani
Régisseur lumière : Cristobal Castillo-Mora
Régisseur son : Jean-Louis Imbert
Habilleuse : Nathalie Damville
Du 12 au 22 octobre 2023 à 20h
Dimanche à 16h
Athénée Théâtre-Louis Jouvet
2-4 square de l’Opéra Louis Jouvet
75009 Paris
Réservations : 01 53 05 19 19
Tournée :
09/11 Théâtre Edwige Feuillère / Vesoul
14/11 Radiant-Bellevue (Caluire et Cuire)
28/11 Théâtre de Saint-Malo
01/12 Théâtre de Vienne
05/12 Le Dôme / Albertville
Juin 2024 / Arène de Cimiez
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