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Phèdre, de Racine, mis en scène par Robin Renucci, Tréteaux de France

Mai 30, 2022 | Commentaires fermés sur Phèdre, de Racine, mis en scène par Robin Renucci, Tréteaux de France

 

© Sigrid Colomyès
 

ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Le texte, tout le texte, rien que le texte. Rien de plus. Enfin, pas tout à fait puisque le texte est donné à être entendu et il est servi, sur un plateau… Un plateau, presque sur tréteaux, en forme d’estrade circulaire. Sur ce plateau se succèdent, arrivant en duos par des pans inclinés latéraux, les comédiens qui ne déclament pas, ne récitent pas, ne restituent pas, mais vivent les vers de Racine et nous font entrer dans les tourments infinis de leurs héros.

Phèdre n’est jamais mieux mis(e) en valeur que dans l’épure. Une épure dans la mise en scène, mais également dans son incarnation. Maryline Fontaine est une Phèdre organique. Elle transmet sa culpabilité, sa force vive dans cet amour irrépressible et dans son dégoût de soi, sa honte tout autant que son désir indépassable de vengeance provoqué par une jalousie incontrôlable. Tout est ferveur et ivresse chez Phèdre. Son devoir moral elle le connaît, sa passion est sincère, pourtant elle ne pèse rien face à ce que la société attend d’elle, à savoir une conduite irréprochable, dans ses actes et ses pensées, autrement dit une absence totale de liberté. Phèdre n’est pas libre, parce qu’elle est femme. Contrairement à son mari Thésée, dont Racine souligne pourtant la conduite adultère répétée, Phèdre est enfermée dans son rôle d’épouse qui doit être fidèle au héros. Phèdre, a tenté de conjurer la fatalité de sa lignée en refoulant et réprimant autant qu’elle a pu sa passion, elle ne l’a d’ailleurs jamais mise en acte avant d’en faire l’aveu. Un baiser arraché dans la mise en scène de Robin Renucci concrétise son péché, sa faute, son forfait. Tous explorent, calculent, envisagent autour d’elle des solutions, mais nul ne cherche à la comprendre. C’est tout cela que nous dit la belle Maryline Fontaine dans les vers raciniens parfaitement prononcés, dans ses mains qui se tordent, ses yeux qui sont tour à tour torrents et flammes, dans les tremblements de sa poitrine, dans les joues qui se creusent à mesure que le feu de souffrance la consume et la jette à terre. Elle est bouleversante. Elle est incontestablement la Reine, de la tragédie et du spectacle.

Ses acolytes ne sont, sans exception, toutefois pas en reste. Nadine Darmon incarne une Œnone sensible et dévouée, prévenante mais aussi compromise. Ulysse Robin campe un Hippolyte fragile et lui aussi dépassé par sa passion, mais dans une forme d’innocence et d’inexpérience que son visage juvénile et son débit empressé traduisent à merveille. Judith d’Aleazzo est une Panope avec ce qu’il faut de distance et d’ambiguïté. Le Théramène de Patrick Palmero, l’Ismène de Chani Sabaty et l’Aricie d’Eugénie Pouillot répondent aux profils plus normés de leurs rôles respectifs. Enfin, Julien Tiphaine excelle. Il avait déjà incarné le rôle de Thésée sous la direction de Schiaretti dans sa dernière mise en scène pour le TNP. Les vers sortent de sa bouche comme s’ils y étaient nés. Sa stature imposante, valorisée par son manteau de brocart, en fait un géant. Il exprime totalement, corporellement cette sensation qu’il revient du royaume des morts. Et sa pose figée dans la scène II de l’Acte IV est d’une telle puissance, jusque et surtout dans son visage de colosse outragé, où rien ne bouge, qui comble sa posture majestueuse que l’on ne se lasse pas de regarder quand on a la chance d’être dans son axe (par le hasard du placement de la salle circulaire d’Aubervilliers).

Robin Renucci signe avec Phèdre sa dernière création aux Tréteaux de France, qui vient clore une décennie de direction (Il n’y a pas d’œuvre sans public, Robin Renucci aux Tréteaux de France, 2011-2022), avant son départ pour Marseille. Il a réussi son pari de faire réentendre dans leur épure les œuvres de Racine (après Britannicus, Bérénice, Andromaque). La présente chroniqueuse met au défi quiconque se croit lassé des textes classiques versifiés de ne pas tomber ou retomber en admiration à l’écoute de cette langue remarquable.

 

© Sigrid Colomyès

 

Phèdre, de Racine

Mise en scène : Robin Renucci

Scénographie : Samuel Poncet

Costumes : Jean-Bernard Scotto

Scénographie : Sanja Kosonen, Muriel Carpentier

Assistante à la mise en scène : Judith d’Aleazzo

Avec : Judith d’Aleazzo, Nadine Darmon, Marilyne Fontaine, Patrick Palmero, Eugénie Pouillot, Ulysse Robin, Chani Sabaty, Julien Tiphaine

 

Durée 2 h

Jusqu’au 4 juin 2022, 19 h 30

 

 

Tréteaux de France

2 rue de la Motte, 93300 Aubervilliers

www.treteauxdefrance.com

 

 

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