Critiques // Phèdre, de Jean Racine, mise en scène de Muriel Mayette, Arènes de Cimiez (Théâtre national de Nice)

Phèdre, de Jean Racine, mise en scène de Muriel Mayette, Arènes de Cimiez (Théâtre national de Nice)

Juin 25, 2024 | Commentaires fermés sur Phèdre, de Jean Racine, mise en scène de Muriel Mayette, Arènes de Cimiez (Théâtre national de Nice)

 

© Meghann Stanley

 

ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Dans le cadre nocturne magique des arènes de Cimiez, la directrice du Théâtre national de Nice a inauguré la première édition du « Festival de tragédies » avec Phèdre dans une version écourtée et amputée de ses personnages secondaires (Aricie, Ismène, Panope), avec une distribution qui peut ne pas totalement convaincre mais qui a le mérite d’être audacieuse. Le rôle principal de Phèdre a été confié à la jeune comédienne Eve Pereur, que l’on avait déjà vue sous la direction de Muriel Mayette dans le rôle de Phénice de son Bérénice, joué en septembre 2022 à la Scala de Paris. Eve Pereur est toute en transports et en exaltation et offre quelques jolis passages de tragédienne. Augustin Bouchacourt campe un Hyppolite subtilement outragé par l’aveu de sa belle-mère, montant très bien à cheval (pour faire littéralement corps avec son prénom) ! Nicolas Bouchaud est un Thésée assez figé tant dans sa gestuelle que dans ses expressions du visage et qui n’a curieusement ni l’aura du personnage, ni celle qu’irradie habituellement ce merveilleux comédien, comme empêché par son costume empesé. Quant à Nicolas Maury, il lui est confié le rôle d’Œnone, ce qui ne relève évidemment pas de l’évidence, même si son goût pour le travestissement et sa sensibilité féminine pouvaient permettre de le voir dans le rôle de la confidente dévouée de Phèdre. L’incarnation fonctionne dans certaines scènes et s’échappe dans d’autres. Les alexandrins souvent susurrés ne sont pas toujours bien audibles. Muriel Mayette a expliqué que ce rôle devrait être le principal de la pièce et en cela on veut bien la suivre puisque c’est Œnone qui rend le drame de Phèdre tragique. Elle pousse la confidence, elle conseille imprudemment, elle aime sa maîtresse si éperdument qu’elle semble prête à tout pour son bonheur, qui est pourtant inaccessible et incompatible tant avec le contexte qu’avec sa propre idolâtrie. La metteuse en scène va ainsi jusqu’à suggérer la passion charnelle de la nourrice caressant les seins de sa protégée dans un duo déchirant. Elle se jette peu après des remparts pour figurer son suicide dans les flots face à l’impasse dans laquelle elle les a mises. C’est donc sur les passions humaines que Muriel Mayette insiste, et particulièrement sur cette autre relation quasiment incestueuse, laissant de côté les questions plus politiques.

Le comédien le plus convaincant fut finalement Jacky Ido que l’on avait vu dans le rôle d’Antochius du Bérénice précité de Muriel Mayette. Il passe ainsi d’un amoureux timide à celui de Théramène, messager aux tristes nouvelles, mais en le transformant en un conteur joyeux, pédagogue qui résume les scènes coupées et facilite la compréhension de l’intrigue par un slam discret et entraîne son public, regardant chaque spectateur bien dans les yeux, et l’invitant à le rejoindre dans une forme de Chœur en répétant le mot « hélas », clin d’œil sans doute à son précédent rôle puisque cette interjection est l’adverbe qui clôt Bérénice !

Les décors et la scénographie de Phèdre se résument à des fauteuils Louis XVI et de grands tapis rouges placés sur le sol en graviers de l’amphithéâtre des Arènes, comme les « traces » sanguines des trépas à venir. De fait, les pierres de ce lieu et les beaux éclairages sur les arbres du jardin rendent superflu tout autre artifice, et serviront à nouveau d’écrin pour la suite de la programmation de ce festival qui se clôturera début juillet par l‘Andromaque mis en scène par Stéphane Braunschweig, créé à l’Odéon en novembre dernier. Longue vie au festival niçois de tragédies !

 

© Meghann Stanley

 

Phèdre, de Racine

Mise en scène : Muriel Mayette

Lumière : François Thouret

Musique : Cyril Giroux

Costumes : Rudy Sabounghi assisté de Quentin Gargano-Dumas

Perruque et maquillage : Fabien Giambona

Avec : Augustin Bouchacourt, Nicolas Bouchaud, Jacky Ido, Nicolas Maury, Eve Pereur

 

Durée : 1h30

 

Théâtre national de Nice

Arènes de Cimiez

184 avenue des Arènes de Cimiez

06300 Nice

 

Jusqu’au 22 juin 2024

Et création en version salle en octobre 2025 (à la Cuisine), puis en tournée d’octobre 2025 à janvier 2026

www.tnn.fr

 

 

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