© 2024 Musée du Louvre – Louis de Ducia
ƒƒ article de Nicolas Thevenot
D’habitude on les traverse sans s’attarder, on les enjambe d’un pas pressé, on daigne à peine les calculer, ces salles qui n’en sont pas vraiment telles des antichambres où un temps immémorial patienterait, espace aux allures de gigantesque souterrain exhalant une haleine fraiche d’outre-tombe. Nous sommes sous le Louvre, dans ses fondements, murs épais de pierres excavés, murmures d’un autre temps : le Louvre médiéval. A l’invitation du Musée et du Festival d’Automne, après les danses non humaines de Jérôme Bel présentées il y a un an, c’est au tour du vibrionnant et passionnant François Chaignaud de s’y coller. Tout en s’en décollant nettement. Car investir ces bas-fonds, qui n’ont ni le lustre ni l’éclat des grandes salles célébrées dans le monde entier, c’est un peu comme se promener sous les jupes de sa mère, ou sous la table d’un banquet, c’est déserter les ors pour gagner les communs. C’est aussi, littéralement, revenir aux fondamentaux.
Les Petites joueuses, ainsi baptisées par son concepteur, convolent avec l’exposition Figures du fou. Du Moyen Âge aux Romantiques qui s’est ouverte au Musée du Louvre, et qu’il faut voir absolument avant ou après la performance déambulatoire proposée par François Chaignaud. Non pas que l’une illustrerait ou décoderait l’autre, mais plutôt que les deux fonctionnent ensemble comme des chambres d’écho. Le public pénètre, égrené un par un, un laps de temps silencieux entre chacun, l’opportunité de quitter le mondain pour entrer dans un nouveau monde, bien qu’ancien. Celui des Petites joueuses, qui assurément signe le refus du grand jeu, et peut-être tout autant celui du grand Je, ogre contemporain qui nous dévore tout cru. Formant autant de stations d’un chemin de travers, solitudes, duo, trio, et ensemble plus nombreux déclinent autant de combinaisons et d’archipels de l’être humain. Ces Petites joueuses, cousines éloignées des folles du Moyen Âge, semblent tout droit sorties d’un tableau de Bosch ou de Brueghel. Il y a quelque chose dans les costumes, dans les visages grimés, qui fait signe de ce côté-là, mais plus encore ce sont les corps, tels ceux de cette scène d’ouverture, gambadant autour d’un grand ballon rouge, qui nous y ramènent. Progressant à quatre pattes, dos rond, pareil à un œuf, culbutant, s’agrippant, le fou est celui qui ne suit pas le droit chemin édicté par l’ordre établi, bien plus que le malade mental auquel nous associons désormais la totalité du terme, sans partage. Drôles, ludiques, les petites formes essaiment un parcours, se nichant dans les anfractuosités de l’espace, formant ainsi un chemin de ronde. Se mettre la tête en bas, faire la bête à deux têtes, à trois têtes, faire des vents, gouverner à une flottille de vibromasseurs, les Petites joueuses assurément troublent le sens commun. Mais plus encore, ces figures folles (au sens moyenâgeux) s’extirpent du temps, le fabriquent, le creusent, comme autant de galeries trouant un infranchissable mur. Des chants a cappella, magnifiques, résonnent comme une boucle sans fin dans ces couloirs du temps, le lointain s’agrège au proche. Le passé rattrape le présent. La force performative de l’événement tient à sa structure diffractée œuvrant dans une profonde, invisible et organique communion des interprètes, mais aussi au caractère frêle, mineur, des actes en jeu. C’est ce petit qui devient immense, comme sous l’effet d’une loupe que nous saurions enfin accommoder à notre vue. La folie est une critique de son temps. Celle des Petites joueuses est peut-être de pointer le tombeau perdu de notre course, la surenchère de notre société du spectacle : leur réserve, leur calme, leur absorption dans le présent du vivant, leur silence, leur simplicité, dessinent une poétique du retrait qui prend une valeur particulièrement éthique.
© 2024 Musée du Louvre – Florence Brochoire
Petites joueuses, conception de François Chaignaud.
Avec (en cours) : Esteban Appeseche, Cécile Banquey, Marie-Pierre Brébant, François Chaignaud, Samuel Famechon, Florence Gengoul, Pierre Morillon, Cassandre Muñoz, Marie Picaut, Alan Picol, Maryfé Singy, Ryan Veillet
Collaborateur artistique : Baudouin Woehl
Aide à la direction musicale : Marie-Pierre Brébant, Alan Picol
Costumes : Romain Brau
Création et régie lumières : Abigail Fowler
Régie costumes : Alejandra Garcia
Les 4, 7, 9, 11, 14, et 16 novembre 2024
En continu de 19h30 à 23h30 chaque soir de représentation, entrées toutes les 20 minutes
Musée du Louvre
75001 Paris
réservations : 01 40 20 53 17 / 01 53 45 17 17
www.louvre.fr
www.festival-automne.com
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