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Personne, de Yann Frisch, Théâtre de la Ville/ Le Monfort, hors les murs à la Villette

Mai 13, 2023 | Commentaires fermés sur Personne, de Yann Frisch, Théâtre de la Ville/ Le Monfort, hors les murs à la Villette

ff article de Denis Sanglard

Son nom est Personne… nouvel avatar de Yann Frisch pour une réflexion subtile sur notre capacité à croire le temps d’une représentation à la réalité d’un personnage qui n’existe pas, pure construction d’un acteur, d’un auteur. Cette empathie pour une illusion, une fiction que nous n’ignorons pas mais que nous acceptons pour une réalité tangible. Yann Frisch interroge aussi le mystère de l’acteur dans ce qu’il peut y avoir de troublant dans l’incarnation. Est-il alors un autre, personnage de papier, ou reste-t-il lui-même ? citant Borges à propos de Shakespeare pour qui un auteur qui fait parler, penser un personnage devient lui-même ce personnage. Yann Frisch sème le doute, ici le réel est de l’ordre de la fiction. A moins que cela ne soit le contraire.

Cette création ne cesse vertigineusement de renverser les perspectives, de se retourner sur elle-même, de rendre fragiles nos certitudes, de brouiller la frontière entre réalité et fiction. Qu’est ce qui est de l’ordre du hasard, ou nous apparaît comme tel, quand celui-ci semble dûment n’être que le fruit d’une partition écrite et réitérée à chaque représentation ? Il y a quelque chose là de Pirandellien dans cette mise en abyme des ressorts et des enjeux du théâtre, de la relation entre l’acteur et son personnage, du public avec la représentation. A voir un personnage que nous, spectateurs, avons cru imaginer, surgir inopinément sur le plateau le plus naturellement du monde et qui ne soit pas l’acteur qui aurait dû l’incarner. Yann Frisch se joue de nous qui répond à nos attentes, on le sait que c’est une illusion, et cette illusion il la dénonce avec humour, avant que de nous surprendre par un retournement inattendu, sacré tour de passe-passe, et bien malin qui aurait cru s’attendre à ce qui advient. Et même si on pressent la chose, on est bluffé de cette capacité à nous imposer ce mensonge pour vérité, cette illusion qui fait que oui, on accepte d’y croire quand même. On ne peut rien écrire, rien dévoiler de ce qui se trame dans ce camion-théâtre, impératif exigé par Yann Frisch, où la proximité étroite avec ce qui se passe sur le plateau ajoute au mystère bluffant de la magie. Des tours il y en a, surprenant, mais ce n’est pas l’essentiel. Ils ne sont qu’ajouts, illustrations d’un discours diablement élaboré qui vous mène par le bout du nez, exactement là ou Yann Frisch souhaite vous emmener. La magie c’est aussi ça, de la pure manipulation sur un public dupé qui croie ne pas l’être, ou feint de l’ignorer. Usant du masque et du « si magique » de l’enfance, qui finit par s’imposer à nous comme une réalité, c’est le but, Yann Frisch multiplie les apparitions burlesques pour illustrer son propos, habile transformiste. Pas pour rien qu’il prend ce nom de Personne portant de fait cette ambiguïté de n’être rien, comme tout à la fois, qui est le propre du comédien. Être Personne c’est accepter le vertige de l’incarnation et de l’illusion au risque du vide existentiel ou de la révélation de soi. Mais alors, se dit-on, derrière son masque qui est Yann Frisch ? Une illusion ?