© Louise Quignon
ƒ article de Nicolas Thevenot
Une immense bâche bleue est tendue au bas de la grande arche qui couronne la scène des Bouffes du Nord. Elle se répand jusqu’à l’avant-scène, et semble suggérer que des travaux sont en cours, que quelque chose pourrait avoir lieu derrière ou plus tard (dans la même soirée Ranger de Pascal Rambert est proposé avec Jacques Weber). Une jeune femme surgit depuis le parterre et déballera, videra son sac 45 minutes non-stop, hormis quelques furieux pas de danse. Nous ne connaîtrons pas son prénom, et ce que nous penserons avoir compris sera plus tard mis à mal. Elle nous parlera de cette mauvaise passe, de cette activité de survie, laver les vitres, de son amoureuse, Sandrine, qui se fait exploiter dans une franchise dédiée à la beauté des femmes, de son père, des rapports conflictuels qu’elle entretient avec lui, des rapports de classe que cette jeune femme BAC+5 assène à chaque coin de phrase. Dans cette langue, qui est un flux continu, qui est la marque de fabrique de Pascal Rambert, le conflit tient la corde et soutient la dramaturgie. Un conflit qui rend instable toute vérité, qui devient une vérité en soi. Le texte de Pascal Rambert semble résonner du film d’Abdelatif Kechiche, La vie d’Adèle, tant le sujet de la différence des classes sociales se mettant en travers des relations amoureuses surplombe le spectacle sans pour autant avoir la force du film de Kechiche. Et puis, et surtout, cette proposition telle que mise en scène par Pascal Rambert, dirigeant ici Lyna Khoudri, nous sera parvenue de façon très lointaine, comme si une vitre s’était intercalée entre le spectacle et nous. La faute peut-être à cette lumière, contre plongeante, aveuglant comme en plein phare l’actrice dont le regard se retrouve fuyant telle une biche aux abois. Mais c’est plus encore l’état émotif de Lyna Khoudri, porté au plateau avant même que le texte n’amène cette émotion de lui-même par sa simple et directe énonciation, qui nous semble problématique, ce texte, tout sauf naturaliste, ou psychologique (quand bien même la santé mentale de sa locutrice est mise en cause dans le texte), ne pouvant supporter une telle préexistence, disparaissant sous cet état, et ne creusant rien dans l’oreille et l’esprit du spectateur. Le faux aplat du texte de Rambert tombe à plat. Comme les gouttes d’eau d’une pluie glissant sur une vitre. Comme si ce qui devait se produire devant nous, se construire à force de phrases tendues, nous précédait ou se cachait ailleurs, derrière une bâche, rendant inutile notre écoute.
© Louise Quignon
Perdre son sac, texte, mise en scène et installation de Pascal Rambert
Avec Lyna Khoudri
Collaboration artistique : Pauline Roussille
Régie générale : Alessandra Calabi
Régie lumière : Thierry Morin
Répétitrice : Hélène Thil
Du 7 au 18 février 2023, du mardi au samedi à 19h, matinée le dimanche à 15h, relâche le vendredi 17 février
Durée 45 minutes
Théâtre des Bouffes du Nord
37 (bis), bd de La Chapelle
75010 Paris 75014 Paris
Réservation au 01 46 07 34 50
http://www.bouffesdunord.com
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