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Pépé Chat ; ou comment Dieu a disparu, texte et mise en scène de Lisaboa Houbrechts, au Théâtre de la Ville /Sarah Bernhardt, Festival Chantier d’Europe

Mai 31, 2024 | Commentaires fermés sur Pépé Chat ; ou comment Dieu a disparu, texte et mise en scène de Lisaboa Houbrechts, au Théâtre de la Ville /Sarah Bernhardt, Festival Chantier d’Europe

 

© Kurt Van Der

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Il est des créations qui vous laisse sur le flanc, réparatrices pour leurs auteurs, cathartiques malgré le malaise qu’elle créent pour le public. Lisaboa Houbrechts, mêlant des évènements de son histoire familiale et la fiction, aborde un sujet difficile dans la possibilité ou l’impossibilité de sa représentation, les abus sexuel sur un enfant par un prêtre et la collaboration avec l’occupant nazi, traumatismes imbriquant l’intime et le politique qui traversent et affectent les générations suivantes jusque la tragédie, l’irréparable, l’inceste où la victime d’hier devient le bourreau de demain. Avec au centre la question de la religion et du pardon, entre Pépé Chat, doux surnom du grand-père, qui la rejette viscéralement depuis le viol dont il fut la victime et Mémé Chat d’une foi aveugle et intransigeante, qui pardonne les abus mais ne les dénonce pas. Et puis au centre, cette enfant, fillette d’une dizaine d’année, qui face à la haine qui empoisonne Pépé Chat, n’aimant que ses chats, brutalisant sa femme atteinte d’un cancer et son fils qu’il soupçonne avec dégoût d’être homosexuel, dévoile la mécanique traumatique à l’oeuvre qui entraine la répétition inéluctable du drame et dont elle sera à son tour la victime. S’ajoute à cette famille dysfonctionnelle l’oncle, simplet et stérilisé dans le camps où il fut envoyé pendant la guerre, agressant sexuellement le fils de Pépé Chat. Avec en terrible contre-point, chanté en direct par les comédiens et deux chanteurs, accompagnés quelquefois par un accordéon gémissant sa plainte, La Passion selon St Jean de Jean-Sébastien Bach, expression de la victoire du Christ sur le mal par son sacrifice et dont la portée malgré la beauté lumineuse de la partition est ici d’une terrifiante ironie, Dieu s’avérant impuissant, sourd à la détresse de l’enfant que fut Pépé Chat. Le Christ, la parole de Dieu fait chair, ici n’est plus qu’un pantin de chiffon et de papier, marionnette manipulée sans façon et bientôt lacérée par des enfants… Dans cette création ou Dieu est absent et ne répond plus, la question du pardon, essentielle dans la religion chrétienne et que souligne Mémé Chat en réponse à Pépé Chat dans un dialogue étincelant dans sa rhétorique et glacial dans son raisonnement et ses conséquences, devient le centre d’un questionnement contradictoire devant cette tragédie de l’innommable.

Lisaboa Houbrechts devant un tel sujet se refuse à toute démonstration, privilégiant l’intime, le huis clos. Rien n’est édulcoré pourtant, condensé en une seule geste où se bouscule le passé et le présent dans un même embrassement. Comme si le présent devenu tributaire, constitutif et indissociable pour le pire de celui-ci ne pouvait se décoller du passé. Lisaboa Houbrechts possède un sens de l’image foudroyante, une ligne claire et abrupt, comme celle qui ouvre cette création à vif, un chœur d’enfant et de prêtres se poursuivant. Un jeu d’une ambiguïté sans détour où l’outrage et l’irréparable se devine à l’abris des regards. Plus loin, brassard nazi au bras, c’est une tout autre éducation qu’ils reçoivent, dans le culte de l’homme fort répété ad nauseam. Lisaboa Houbrechts use dès l’ouverture de l’ellipse avec maestria qui contamine jusqu’au dialogue parcimonieux. C’est sans doute cela qui frappe, ce mutisme obtus qui gagne chacun, taiseux et ravalant toute parole, lourd de non-dits, ponctué de coup de gueule, autant de déflagrations soudaines, libératoires et vexatoires. Et quand la parole se libère enfin, elle ne peut malgré tout éviter le drame présent et à venir. Dans la Passion selon St Jean le verbe s’est fait chair pour sauver les hommes mais ce que dénonce Lisaboa Houbrechts c’est un renversement brutal, au source du drame la chair fut corrompue par le verbe. Là se trouve, concentrée, la dynamique austère de cette mise en scène où la parole et les corps se dérobent, se défaussent à n’en plus pouvoir jusqu’à imploser, jusqu’à en crever.

La mise en scène ne s’embarrasse pas non plus d’une lourde scénographie, quelques escabeaux pour délimiter l’espace, toujours étroit et malaisant, qui n’entravent pas la circulation, la chorégraphie des corps extrêmement précise et volontaire qui vaut autant et plus encore qu’un discours. Et au centre du plateau, une boite noire qui semble contenir le cœur battant du traumatisme familiale enfoui, tombeau de leurs illusions à jamais perdues, concentrant de même toute la violence intra-familiale. C’est dans cet espace-là et autour, dans son ombre, que les drames successifs se nouent faisant tout exploser. Son ouverture brutale, un pan de mur s’effondrant sans fracas, c’est l’ouverture de la boite de Pandore qui libère le pire d’une humanité en souffrance, en perte de sens, avec ou sans dieu.

Les comédiens sont tous excellents, dirigés avec grande attention, qui détourant leur personnage avec intelligence et subtilité n’en font pas des monstres absolus, mais à la fois victimes et bourreaux, se dépatouillent comme il le peuvent, démunis et impuissants devant leurs contradictions et leurs démons. Ils sont, oui, d’une humanité tragique et la force de cette création est que Lisaboa Houbrechts jamais ne porte un jugement. Impossible se dit-on. Où trouver alors consolation ? La dernière image qui suit un attouchement incestueux qu’on se refusait à voir venir, est bouleversante et inattendue qui offre à la petite fille, préadolescente, la conclusion qui n’est peut-être pas réparation, encore moins rédemption, mais la possibilité d’une résilience fragile.

 

© Kurt Van Der

 

Pépé Chat ; ou comment Dieu a disparu, texte et mise en scène de Lisaboa Houbrechts

Musique (arias, chorals & récitatifs) : J.S Bach

Arrangements pour accordéons & ténor : Philippe Thuriot

Composition & réalisation partition musicale : Bert & Stjn Cools (granvat)

Lumière : Fabiana Piccioli

Dramaturgie : Hildegard De Vuyst

Dramaturgie musicale : Piet De Volder

Direction musicale et arrangements : Pedro Beriso

Orchestration (enregistrement) : Orkest Opera Ballet Viaanderen

Régie lumière : Bennert Vancottem

Régie son / enregistrement : Brecht Beuselink

Réalisation costumes : Oumar Dicko

En collaboration avec Atelier Costumes Tonnelhuis (Kathleen Van Mechelen, Kasia Mielczarek, Liezelot Osselaer, Monique Van Hassel)

Réalisation décor et marionettes : Fillip Peeters

En collaboration avec : atelier FroeFroe (Marc Maillard)

Assistante à la mise en scène : Lieselot Siddiki

 

Avec : Stefaan Degand, Elsie de Brauw, Pieter Ampe, Eddie Dumont, Jules Dorné, Lanse Duym, Ferre Vereecken, Wolf De Graeve, Boule Mpanya, Kadi Jürgen, Alberto Martinez, Elisa Soster, Philippe Thuriot

 

Du 30 mai au 2 juin 2024

A 20h, dimanche à 15h

Durée 1h45

 

Théâtre de la Ville / Sarah Bernhardt

2, place du Châtelet

75004 Paris

Réservations : 01 42 74 22 77

www.theatredelaville-paris.com

 

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