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Penthésilé.e.s. Amazonomachie, de Marie Dilasser, mis en scène par Laëtitia Guédon, Chartreuse-CNES de Villeneuve Lez Avignon, Festival d’Avignon (In)

Juil 14, 2021 | Commentaires fermés sur Penthésilé.e.s. Amazonomachie, de Marie Dilasser, mis en scène par Laëtitia Guédon, Chartreuse-CNES de Villeneuve Lez Avignon, Festival d’Avignon (In)

 

 

© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

 

ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Penthésilé.e.s. Amazonomachie est le 2ème spectacle du In avec Samson de Brett Bailey (critique ici dans le blog) à prendre un mythe à bras le corps pour le transposer partiellement dans des préoccupations contemporaines, au moyen d’une démarche pluridisciplinaire (vidéo, danse, chant, musique, théâtre).

Si Antigone et Phèdre sont des figures de la mythologie grecque plus connues du grand public à travers les nombreuses adaptations dont elles ont fait l’objet au théâtre, en particulier du XVIIème au XXème, Penthésilée, la Reine des amazones, et son amour impossible pour Achille, a néanmoins inspiré les dramaturges, le texte de référence étant celui de Heinrich von Kleist écrit en captivité en 1807 et qui heurta les convenances de l’époque. Et parmi les auteurs contemporains, l’adaptation de Lina Prosa (Programme-Penthésilée : entraînement pour la bataille finale, également publié aux Solitaires intempestifs en 2012) dans un duel projeté et cannibale, était remarquable.

Ce n’est toutefois pas la figure individuelle de Penthésilée qui importe pour Marie Dissaler auteur du texte (publié aux Solitaires intempestifs) adapté par Laëtitia Guédon. D’ailleurs, le titre, Penthésilé.e.s renseigne d’emblée. Le prénom est mentionné en écriture inclusive et au pluriel. La dimension féministe et en même temps universaliste de la figure s’impose avec évidence. Le néologisme, Amazonomachie, utilisé comme sous-titre, est également intéressant pour représenter la raison d’être de cette société qui a décidé d’exclure les hommes à l’exception d’une journée par an (la fête des roses), pour les besoins de la reproduction. Il vient s’ajouter à tous les autres combats (tauromachie, gigantomachie, naumachie) qui présument d’une lutte inégale, jusqu’à la logomachie, qui entraîne dans un dialogue entre deux êtres l’incompréhension. C’est d’ailleurs aussi un peu de cela qu’il s’agit entre Penthésilée et Achille, un dialogue à double sens, où chacun veut à la fois s’affirmer, se protéger soi-même et protéger l’autre avant de se déchirer, par méprise, alors que l’amour était si brûlant et flamboyant.

Dans un décor sombre, modulé par des lumières chaudes, très minéral, structuré par un écran horizontal en fond de scène et un podium jonché de bougies comme un autel qui attendrait une cérémonie sacrificielle, Penthésilée et sa fidèle suivante qui n’est pas nommée (Prothoé dans la tragédie de Kleist), à moins qu’il ne s’agisse déjà du double de la Reine, vocifèrent. Les deux femmes se répondent par ce qui commence comme un souffle, une respiration, des vocalises, qui se transforment en râles animaux, inquiétants, venant du plus profond de la gorge, produisant comme un nouveau langage, un nouveau moyen de communication qui semble venu de la nuit des temps.

Penthésilée est une femme puissante. Elle montre cette force dans son discours, chuchoté dans un premier temps, puis vociféré avec vigueur avant d’être énoncé dans la plus grande douceur. Le timbre absolument envoûtant de sa voix contraste avec la violence des mots prononcés, preuve que la virilité n’est pas nécessaire à l’expression de la puissance, Penthésilée s’imposant, sûre d’elle-même et dominatrice. Car elle est en fait, ou se veut, la voix de toutes les femmes, les combattantes comme les opprimées, les vierges comme les outragées, mais toutes fières de leur sexe au sens propre et figuré (extraordinaire passage sur la diversité et la multiplicité de leurs parties intimes) telle la suivante qui s’allonge lentement laissant voir ses jambes fuselées, dont le dénuement partiel qui suit n’ajoute rien à l’érotisme de ce qui était initialement suggéré.

Le sacrifice de Penthésilée est une « suspension dans le temps », qui doit conduire les femmes à réinventer « leur passé, présent, futur / Leur chair et leurs désirs » qui se traduira in fine par « une transformation vitale ».

La transformation s’opère symboliquement dans la mise en scène par l’interprétation successive de Penthésilée par trois comédiens différents (dont un homme) qui peut déconcerter. De même de très beaux choix scénographiques sur le plan esthétique peuvent dérouter. Le chœur dont les voix prodigieuses sont magnifiées par l’acoustique de la Chartreuse, figure avec pertinence la dimension chorale présente dans le mythe des amazones, mais même si les chants étaient resplendissants, ces passages magiques sur le plan vocal, nous éloignent du propos central de Marie Dilasser et donne l’impression d’oublier Penthésilée. Cela conduit à une confusion, le public sortant majoritairement ravi et agréablement surpris d’avoir entendu des mélodies (notamment) baroques, alors que ce n’est évidemment pas ce qui importe dans le message qui entend être délivré par le texte qui offre par ailleurs aussi de jolies idées (comme l’abandon des noms de fleurs pour des noms de tempêtes pour prénommer les femmes). De manière générale, il existe des problèmes de rythme dans le spectacle, ou plutôt d’absence de rythme, qui se traduit en particulier dans la gestuelle et le débit vocal des trois comédien.n.e.s lesquels, après le tonitruant début et à l’exception de la captivante danse de Seydou Boro, nécessiteraient de plus fréquentes ruptures pour déstructurer la démonstration, car le texte se veut politique. Que l’on approuve ou pas le féminisme de Marie Dilasser et Laëtitia Guédon, elles portent une protestation, revendiquent un discours qui finit par se diluer dans de trop délicieux artifices. Penthésilé.e.s prétend « bâtir un autre monde » pour les générations à venir. Le chemin est aride. Revenir à la rudesse du chant inuit initial de Marie-Pascale Dubé et à la transe de Lorry Hardel aurait sans doute moins flatté les oreilles émerveillées par les amazones-angels Sonia Bonny, Juliette Boudet, Lucile Pouthier, Mathilde de Carné, mais achevé d’ébranler tous les Achil.l.e.s et Penthésilé.e.s inventant d’un temps où la poussière aura fini de tomber.

 

© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

 

 

Penthésilé.e.s de Marie Dilasser

Conception et mise en scène Laëtitia Guédon

Avec : Seydou Boro, Marie-Pascale Dubé, Lorry Hardel

Et Sonia Bonny, Juliette Boudet, Mathilde de Carné, Lucile Pouthier (chœur)

 

Musique et son : Jérôme Castel, Grégoire Letouvet, Nikola Takov

Lumière : Léa Maris

Scénographie : Charles Chauvet

Vidéo : Benoît Lahoz

Costumes : Charles Chauvet, Charlotte Coffinet

Assistant à la mise en scène : Quentin Amiot

 

Durée 1 h 40

Jusqu’au 13 juillet à 17 h

 

 

Festival d’Avignon – In

 

Chartreuse-CNES de Villeneuve lez Avignon

58 rue de la République

Villeneuve les Avignon

www.festival-avignon.com

 

Tournée :

2021 à Montluçon, Colmar, Caen, Créteil

2022 à Creil, en Martinique, en Guadeloupe, Paris

 

 

 

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