article d’Anna Grahm
Espoir es-tu encore de ce monde ?
« La dernière fois que nous nous sommes vus nous étions jeunes et maintenant nous sommes vieux ». Ainsi s’amorce la rencontre de deux couples d’amis qui se retrouvent après six années de séparation. Dès le début, l’auteur allemand annonce le désenchantement de ces jeunes vieux. Décline l’étourderie et tous les oublis qui les affaiblissent.
Entre ceux qui sont partis là-bas quelque part en Afrique, en tant que
© Marjolaine Moulin
médecins (humanitaires) et ceux qui sont restés chez eux, avec leurs peurs, un océan d’incompréhension, de rancœurs et d’amertume. Alors même si l’on trinque aux retrouvailles, et que l’on s’offre des petits cadeaux, le malaise est palpable.
Comme dans le premier volet du diptyque, le décor est totalement blanc, voilage et large canapé douillet. Les mêmes femmes à la diction mitraillette et les mêmes hommes dodelinant. Avec gestes et sourires dégoulinants en plus. Et chacun de s’expliquer sur ses choix, refaire l’histoire, redire en boucle, le rien à dire, ce tout que l’on ne s’explique plus. Ou que l’on ne dit pas, que la mise en scène arrête net, plonge dans le noir, l’intime trempé dans le noir systématique, pour dire le jugement, l’autocommentaire. Entre ces quatre-là, rien ne se dit d’autre que la folie généralisée du monde, le dégoût de soi et la méchanceté.
De cette ancienne amitié de femmes restent des illusions déçues, laissées là-bas, cette gamine, cette petite Annie, qu’on chérissait d’ici, cette enfant que l’on n’avait jamais rencontrée que par lettres, qu’ils n’ont pas pu ramener avec eux car « on ne peut pas franchir la frontière sans passeport ». Entre ces deux mondes, les ponts aériens sont coupés, et dans les ruines encore fumantes, montent de la désillusion, de la honte et des paquets de gifles. Entre eux, flotte de la sévérité à outrance, accentuée, démultipliée par la répétition des noirs. Noirs qui n’en finissent pas de hacher menu les souvenirs, qui par bribes sont sans cesse remis en jeu, en bouche, qu’on apostrophe tellement qu’on en efface le relief. Noirs sur la petite musique de l’évocation, qui provoque de la confusion comme sur un disque rayé, noirs que la récurrence finit par user, qu’ils rabâchent pourtant pour achever de la détruire.
Ils étaient en danger, ils étaient dans le confort. Tout était devenu dangereux, tout était devenu ennuyeux. Sur bien des points ils se rejoignent, les uns revenus sans rien, les autres revenus de tout. Ils sont désormais devenus des machines à raconter leurs vies de machines.
Dans cette mise en scène, beaucoup d’effets, pour exprimer, exsuder la mécanisation des esprits. Et les cafards en projection sur la maison de poupée, grimpent sur les lignes du canapé, envahissent les discours dans lesquels ils sont emprisonnés.
Dans cette opposition de noirs et de blancs pas l’ébauche d’un gris, aucune nuance, et l’on a eu beau scotcher le public et les petites poupées brisées qu’on destinait aux enfants, on a ici décidemment bien du mal à croire au rétablissement de ce grand corps malade qu’est notre vieux monde.
Peggy Pickit voit la face de Dieu
Texte Roland Schimmelpfennig
Mise en scène Aurélie Van Den Daele
Assistée de Grégory Fernandes
Scénographie son, lumière et vidéo Collectif INVIVO : Julien Dubuc, Chloé Dumas, Samuel Sérandour
Costumes Laëtiita Letourneau
Avec Gwendal Anglade, Lorraine De Sagazan, Sol Espeche, David SeigneurDu 1 au 30 novembre 2014
Mardi, jeudi et samedi (sauf le 15 novembre) à 20h30
Dimanche à 17h45Diptyque samedi 1er novembre à 20h30 et les dimanches à 16h
Théâtre de l’Aquarium
Route du Champs de manœuvre – 75012 paris
Réservations 01 43 74 72 74
www.theatredelaquarium.com
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