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Peer Gynt, d’Henrik Ibsen, mise en scène de David Bobée, La Grande Halle de la Villette

Juin 21, 2021 | Commentaires fermés sur Peer Gynt, d’Henrik Ibsen, mise en scène de David Bobée, La Grande Halle de la Villette

© Arnaud Berterau

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard 

C’est du théâtre comme on en rêve, épique, populaire, engagé, traversé d’une humanité qui vous bouleverse sèchement par sa vérité, sa profondeur. Nul espoir pourtant, pas de héros flamboyant mais un pauvre type qui rêve sa vie, affirme effrontément fendre les airs, attelé à un bouc, qui ne cesse de fuir, hors du monde, hors de soi, le diable aux trousses. Une nuit roi des trolls, un jour vendeur d’esclaves, un jour prophète, un jour empereur des fous, un dernier jour vieillard exsangue, usé, désabusé par l’échec d’une vie. Voilà Peer Gynt, parti de rien pour aboutir nulle part. Qui ne cesse d’inventer pour se réinventer, menteur, hâbleur, tricheur. Formidable personnage qui regarde à peine le monde comme il va, c’est à dire mal, cherche sa place avec pour tout viatique l’invention de soi, illusoire, et l’opportunisme de moins en moins candide. Peer Gynt, héros tragique malgré lui qui ne cesse de fuir pour revenir au point de départ, dans cette caravane pourrie, sur ce terrain vague d’une fête foraine déglinguée, entre carcasse de grand huit, grande roue disloquée et tête de clown effondrée. Le monde se résume sans doute à ça, un immense terrain de jeu déserté, en friche où l’enfance fracassée de Peer Gynt a le goût ferreux, déjà, de l’échec et de l’abandon. Peer Gynt, la recherche de soi et le mensonge chevillé au corps, parcourt alors le monde à son image, un parc d’attraction, un formidable théâtre où le mensonge dit la vérité, sa vérité, jusqu’à perdre de s’y croire lui tant celui qui le profère. Peer Gynt est un personnage éminemment théâtral parce qu’il n’existe pas, parce qu’il est creux, parce qu’être soi n’est pas dans le mensonge mais dans l’altérité, le regard de l’autre. Cet autre qui se révèle aussi à son approche pour le meilleur ou pour le pire. Peer Gynt refuse ce regard, fuit la vérité. Voilà le tragique de ce personnage, être aveugle. Ce qu’il perçoit du monde n’est qu’une occasion de s’en sortir, de prospérer, et tout seul. Endosser des rôles, comme autant de pelures d’oignons, et se retrouver nu au soir de sa vie, signe l’impuissance de Peer Gynt, l’échec de sa quête, être soi, pour avoir répondu, quoiqu’il s’en défende mordicus, à l’injonction Troll, « Suffis- toi toi-même ». C’est un conte noir, une épopée fantastique, une tragédie humaniste, étrangement contemporaine, c’est du théâtre comme on en rêve, oui. Et David Bobée accomplit un miracle, sa mise en scène bouillonnante, inventive, généreuse, exacerbe cette théâtralité qu’il souligne sans jamais forcer le trait. Le monde n’est qu’une toile peinte bientôt déchirée par des fous. Avec un sens de l’image qui n’appartient qu’à lui, une poésie ébréchée, douloureuse parfois, faite de bric et de broc, voire volontairement naïve. Les rencontres les plus improbables, les scènes attendues, sont des instants suspendus, miraculeux, d’une poésie sombre, entre chien et loup, où le réalisme bouscule le fantastique. Car David Bobée, fidèle à lui-même, homme engagé, fait de Peer Gynt un enfant terrible de ce siècle en souffrance. « Fait le tour » intime le Grand Courbe. La fuite en avant de Peer Gynt, son refus récurrent de s’engager, sa dérobade au monde, sa lâcheté, son opportunisme, si elle n’en fait pas un monstre, engendre le pire, ouvre la porte aux cataclysmes. Capitalisme outrancier et religion fanatique c’est du pareil au même. Les trolls ne sont que des nationalistes fascistes. David Bobée n’extrapole pas, sa lecture de la pièce, dépouillée de tout folklore, est littérale et percutante. Peer Gynt c’est Radouan Leflahi qui porte sur ces épaules ce rôle et le poids dense d’une vie de néant avec flamboyance. C’est une boule d’énergie brute, une présence fauve et magnétique. Pas même trente ans et l’étoffe d’un grand. Près de quatre heures à parcourir le plateau, jouant de sa fatigue qui le métamorphose de sale gosse immature à ce vieillard agonisant. Et puis il y a Catherine Dewitt, formidable, mater dolorosa impuissante et dont la mort, sans pathos, vous bouleverse et vous arrache une émotion brute. Mais comme toujours chez David Bobée il y a ce sens de la troupe, métissée, et tous sont formidables, d’énergie folle, de don de soi, de partage généreux, à l’unisson dans ce cauchemar éveillé, cette tragédie d’un homme qui voulut être tout et n’était rien. La fête est finie, Peer Gynt est ce clown pathétique et poignant renversé qui ne se relèvera plus.

 

Peer Gynt d’Henrik Ibsen

Mise en scène et adaptation : David Bobée

Avec : Clémence Ardouin, Jérôme Bidaux, Pierre cartonnet, Amira Chebli, Catherine Dewitt, Radouan Leflahi, Thierry Mettetal, Grégori Miège, Marius Moguiba, Lou ValentiniTraduction  François Regnaud

Dramaturgie : Catherine Dewitt
Assistante à la mise en scène : Sophie Colleu, Arnaud Berterau
Scénographie : David Bobée et Aurélie Lemaignan
Conception et interprétation : musicale Butch Mckoy
Création Lumière : Stéphane Babi Aubert
Création son : Jean-Noël Françoise
Costume : Pascale Barré

 

Du  au 

Durée : 3 h 45 entracte compris

 

La grande Halle de la Villette

211, Avenue Jean Jaurès

75019 Paris

T+ 01 40 03 75 75

www.lavillette.com

 

 

 

 

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