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Paléolithique Story, écrit par Lazare Boghossian et Marion Stenton, conception et mise en scène de Mathieu Bauer,Théâtre 71 de Malakoff

Nov 21, 2022 | Commentaires fermés sur Paléolithique Story, écrit par Lazare Boghossian et Marion Stenton, conception et mise en scène de Mathieu Bauer,Théâtre 71 de Malakoff

ƒƒƒ article de Sylvie Boursier

Sapiens-sapiens as-tu du cœur ? Crois-tu aux fantômes, qu’est-ce que tu aimes comme musique ? Ces drôles de questions nous traversent l’esprit lors du paléo opéra rock de Mathieu Bauer à l’issue duquel on ne voit plus la préhistoire de la même façon. Tout est vrai dans ce récit foutraque, documenté, avec des synthèses projetées sur le rideau de scène et des extraits passionnants de thèses débattues par les paléoanthropologues ; le metteur en scène a juste un peu fantasmé tout ça mais après tout on n’y était pas.

Mathieu Bauer est un spécialiste du collage, il mélange musique, cinéma, chanson et théâtre ; à partir de ce « glanage » comme il l’appelle, se met en place un récit circulaire à plusieurs entrées et sorties correspondant aux multiples ramifications de l’évolution de l’espèce. Un sujet le taraude particulièrement, celui des inégalités sociales. La sédentarisation des nomades chasseurs cueilleurs et l’apparition des villes devaient-elles conduire inéluctablement à la montée des inégalités ? Comment avons-nous pu nous retrouver si coincés ?

Sur la scène, dans un bric à brac de stalagmites façon chantier, quelques spécimens cro-magnons tapent le carton, discutent du meilleur spot pour s’abriter, se chamaillent pour un briquet et se rabattent sur un bon vieux silex, swinguent et jouent du saxo, de la batterie, pas d’histoire sans musique dans la famille Bauer. Ce diable d’homme serait capable de vous jouer le Bing Bang sur un air de Nino Rota !

D’un côté un paléontologue déprimé, grincheux, de l’autre une sémillante jeune femme un brin maladroite, très têtue qui va lui donner ce grain de folie qui lui manquait et lui redonné l’espoir. Vous avez reconnu le thème du film « l’impossible Mr Bébé » de Hawks. Le metteur en scène leur adjoint un troisième larron, un jeune communicant malin comme un singe qui retombe toujours sur ses pieds.

Les trois comédiens, chanteurs, danseurs évoluent dans cet « espace de fouilles » et interagissent avec trois musiciens ; de temps en temps les acteurs passent à l’avant-scène, de cour à jardin pour les mises au point historiques, l’argumentation, les plaidoiries.

Hilarant cet interrogatoire d’un de nos ancêtres habillés d’oripeaux poilus par un spécialiste actuel des deux cerveaux, droite et gauche, cherchant à savoir si l’homme en question est doué de raison ; savoureux encore le passage au langage articulé grâce à un mode alimentaire riche en protéines. Emouvante la scène de découverte d’une riche tombe à Sungir en Russie somptueusement parée de bijoux qui donne lieu à un débat sur les fondements de l’inégalité parmi les hommes à la Jean-Jacques Rousseau et sur l’origine de l’art.

Comédiens et musiciens se connaissent bien et leur complicité nous touche. Emma Liégeois déploie ses dons multiples, virevoltant et négociant avec bonheur les passages techniques des Noces de Figaro à une chanson rock en passant par une berceuse très douce et des explications anthropologiques. Romain Pageard est un merveilleux partenaire vif argent et Gianfranco Poddighe, danseur interprète, apporte cette profondeur humaine qui convient à son personnage de scientifique conquis par la grâce. Malgré quelques propos difficiles à suivre, on ne perd jamais le fil et la fin nous sommes sans voix.

Dans la salle beaucoup de scolaires partent avec des questions passionnantes. Quel rôle avait la femme de l’homme préhistorique ? Nos ancêtres chasseurs-cueilleurs cultivaient la terre pour leur subsistance tandis que notre société d’abondance l’épuise. Leur organisation était loin d’être sotte. Retrouver le passé pour nous projeter dans le futur, pourquoi pas ? Est-ce toujours plus de technologie qui nous sauvera ou un surcroit de réflexion ontologique ?

Paléolithitique story c’est 2001, Odyssée de l’espèce plutôt que de l’espace du grand Kubrick. Quand l’os est projeté du sol vers le ciel on n’atterrit pas dans un vaisseau spatial mais aux origines de notre mémoire à Lascaux et nous revoyons ces fresques sublimes peintes par nos frères sur un texte de Georges Bataille « avec une sorte de bonheur imprévu, les hommes de Lascaux rendirent sensible le fait qu’étant des hommes, ils nous ressemblaient, mais ils l’ont fait en nous laissant l’image de l’animalité qu’ils quittaient. Comme s’ils avaient dû parer un prestige naissant de la grâce animale qu’ils avaient perdue. » On se souvient de l’extraordinaire scène de découverte d’anciennes fresques romaines lors du percement d’une galerie souterraine dans le film Fellini Roma. Préservées par l’air antique d’une caverne, les fresques apparaissent un instant puis disparaissent soudain sous l’afflux de l’air de la surface. Le présent ne tolère pas longtemps l’irruption du passé, seul l’art peut restituer l’éphémère de la beauté, sa mémoire vive.

Cro-magnon, mon ami, à quoi rêvais-tu quand tu dessinais ces formes sur les parois des grottes, qui ne cessent de nous hanter ? « Si la vie, dit Bataille, n’avait pas pleinement porté de tels hommes au niveau de l’exubérance, de la joie, ils n’auraient pu la représenter avec cette force. »

Mathieu Bauer a bien retenu la leçon ! Jubilatoire !