© Gregory Batardon

ƒƒ article de Nicolas Thevenot

La scène est pareille à un horizon légèrement bleuté et orangé bariolé de fils électriques noirs s’entrelaçant en diagonales et fausses parallèles. Ces lignes de fuite : souvent des havres de repos pour les espèces volantes et voyageuses, ces oiseaux qui migrent en immenses étendues. Outsider est une écriture virtuose de la multitude, de la nuée, de la pulsation d’un flux ininterrompu dans un grand mouvement d’ensemble. Pour le Grand Ballet du Théâtre de Genève, Rachid Ouramdane a écrit cette pièce-là, nous saisissant, nous hypnotisant : courses en lignes effrénées, ricochant sur quelques corps, absorbés finalement par l’énergie cinétique des corps arrivant à toute vitesse. Cette nuée de danseuses et danseurs, vêtus d’académiques de couleur marron et noir, fonctionne à la façon des oiseaux dans le ciel s’agrégeant tout en volant puis se reséparant dans le même vol. La beauté du geste réside non plus dans la performance de solistes, comme c’est souvent le cas dans le ballet classique, mais dans une symbiose collective qui n’est plus un unisson mais une compréhension organique de l’attroupement, de l’écartement, de leur vélocité qui forme le liant de ces corps-projectiles. Indispensable de noter la performance proprement physique de ces courses particulièrement exigeantes dans la durée mais indispensables à la réussite des mouvements chorégraphiés. Cette vitesse qui semble nous prendre de court, c’est la musique (répétitive) de Julius Eastman (Evil nigger et Gay guerilla) qui l’impose : les pianos agissent doublement par leur ritournelle mélodique et par leur valeur percussive produisant ainsi une surface sonore striée semblant se mouvoir d’elle-même. Les trilles des pianos s’incarnent par des déboulés de danseurs légèrement décalés dans leur entrée en scène créant un effet de mitraille, d’accumulation. Courant, contrecourant, vortex tourbillonnant, la mécanique des fluides s’inviterait presque autant que l’ornithologie, lorsque l’on assiste à cette première partie d’Outsider, proprement fasciné par les effets ainsi produits au plateau.

La deuxième partie verra l’apparition des hommes et femmes du ciel, marchant sur leur fil. Si la séquence agit sur le spectateur c’est par sa prise de risque toute circassienne. Toutefois sa liaison dramaturgique et esthétique avec ce qui se passait au sol, et ce qui suivra, est pour le moins problématique : c’est comme si l’effet de réel de cette prise de risque et sa nécessaire gestion pratique rendait instable le régime d’images et de croyance qui en résulterait : pour le dire cinématographiquement, on hésite entre les anges du film Les ailes du désir, pure poésie immatérielle, et les membres de Mission Impossible, câblage et technicité en évidence. Également la tentative pour les figures terriennes de quitter l’horizontal et rejoindre le monde vertical s’encombre bien vite d’un sentiment de fiction, de récit, d’intentionnalité, tous éléments proprement immiscibles avec la première partie. Plus qu’à la confrontation de l’horizontale et de la verticale, on a finalement l’impression d’assister à la déperdition de la plus belle et opérante abstraction par une narration figurative pauvrement vouée à une explicitation de sens.

© Gregory Batardon

Outsider, chorégraphie de Rachid Ouramdane

Scénographie : Sylvain Giraudeau

Costumes : Gwladys Duthil

Lumières : Stéphane Graillot

Assistante chorégraphique : Mayalen Otondo

Musique : Julius Eastman (Evil nigger et Gay guerilla)

Intervenants : Hamza Benlabied, Airelle Caen, Clotaire Fouchereau

Les danseuses et danseurs du Ballet du Grand Théâtre de Genève : Yumi Aizawa, Jared Brown, Adelson Carlos, Anna Cenzuales, Zoé Charpentier, Quintin Cianci, Oscar Comesaña Salgueiro, Diana Dias Duarte, Armando Gonzalez Besa, Zoe Hollinshead, Julio León Torres, Mason Kelly, Ricardo Macedo, Emilie Meeus, Léo Merrien, Stefanie Noll, Juan Perez Cardona, Luca Scaduto, Sara Shigenari, Geoffrey Van Dyck, Nahuel Vega, Madeline Wong

Highliners : Nathan Paulin, Tania Monier, Louise Lenoble, Daniel Laruelle

Enregistrement musical : Sub Rosa avec les interprètes Melaine Dalibert, Stéphane Ginsburgh, Nicolas Horvath, Wilhem Latchoumia

Enregistrement musical : Grand Théâtre de Genève, représentation du 4 Mai 2024,

Sous la direction de Stéphane Ginsburgh

Pianistes : Adrián Fernández García, Pilar Huerta Gómez, Lucie Madurell, Luca Moschini

Du 21 au 24 juin 2024 à 19h sauf samedi 18h et dimanche 15h

Durée : 1h10

Grande Halle de la Villette

211 Av. Jean Jaurès

75019 Paris

réservation  : +33 (0)1 40 03 75 75

https://lavillette.com

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