À l'affiche, Critiques // Où la chèvre est attachée, il faut qu’elle broute, texte et mise en scène de Rébecca Chaillon au Nouveau Théâtre de Montreuil

Où la chèvre est attachée, il faut qu’elle broute, texte et mise en scène de Rébecca Chaillon au Nouveau Théâtre de Montreuil

Juin 11, 2019 | Commentaires fermés sur Où la chèvre est attachée, il faut qu’elle broute, texte et mise en scène de Rébecca Chaillon au Nouveau Théâtre de Montreuil

 

© Sophie Madigand

 

 

ƒƒ article de Nicolas Thevenot

Si la performance est l’art de transgresser la norme à travers des actions réalisées devant un public, alors le football féminin en est une au premier chef. Il suffit d’ailleurs de voir ce que la Coupe du monde de football féminin met en branle et déchaîne de passions contrariées dans le secteur sportif et masculin (notamment certains commentateurs) pour s’en rendre compte. Il suffit également de suivre les mésaventures de l’équipe Les dégommeuses sur les terrains du neuf trois. En s’emparant du sujet, Rébecca Chaillon nous rappelle peut-être en premier lieu cette réalité, mais elle met en exergue avec autant d’acuité et de radicalité la difficile visibilité des lesbiennes dans notre société…

Dans la salle Maria Casarès du Nouveau Théâtre de Montreuil, il y une odeur de terre mouillée et très vite une odeur de cigarette. Sur le plateau, un terrain de foot encadré de ses habituelles rambardes marquant l’espace de jeu. Au fond du plateau faisant face au public, un gradin tel un trône sur lequel siège une femme fumant comme un pompier, ne lâchant sa cigarette que pour descendre l’une après l’autre les bières du pack de 1664 posé à côté d’elle, bientôt rejoint par trois pizzas. Le ballet incessant de ses mains jonglant entre cigarette, bière et morceau de pizza semble un défi à la raison, mais surtout, une transgression encore plus sournoise : celle qui nous enjoint à tout moment à manger nos cinq fruits et légumes, à bouger, à faire du sport, bref à avoir une vie saine… Michel Foucault et sa théorie d’une mise au pas des corps par la société n’est pas loin.

Un coup de sifflet mettra fin à ce préambule donnant le signal de l’entrainement aux onze filles qui se présentent sur le terrain.

Il y aura le vestiaire, et la métamorphose des corps par l’habit, passant de la petite culotte en dentelle au grand short de foot, il y aura la pause pipi et la mise en question du corps debout (comme un mec) ou accroupi (comme une fille) pour uriner, il y aura les douches, il y aura des transes collectives comme le sport collectif sait les stimuler. Il y aura tout ce qui fait le monde du foot, et que l’on associe au monde des hommes, mais ici questionné par le corps des femmes.

Rébecca Chaillon écrit son spectacle dans la chair des corps et c’est ce qui en fait toute sa beauté. Mais ce qui fait sa force, c’est cette parole puissante au croisement du poétique et du politique qui creuse beaucoup plus loin que toutes les paroles autorisées et expertes sur le sujet. (A contrario, on regrettera peut-être cette discussion entre les joueuses au cœur du spectacle faisant la part belle à un didactisme beaucoup moins performant).

Rébecca Chaillon se définit au début du spectacle comme femme de couleur, lesbienne, grosse, bref : ce point d’intersection objet de la plupart des dominations. Et pourtant, en sortant du Nouveau Théâtre de Montreuil, on aura surtout eu la sensation d’avoir rencontrée une femme puissante, qui est un monde plutôt qu’un point d’intersection, et qui sait brouter bien plus loin que là où la société a voulu l’attacher. Car Rébecca Chaillon est aussi bien cette pacha mama née de cette terre humide et de ces corps en sueur, comme on la voit apparaître dans un sublime tableau qui semble dédié à Lesbos, que cette ange-gardienne virevoltante avec sa brassière étoilée de paillettes dans une pluie de lumière et de ballons de foot. Cet imaginaire nourri à égale proportion de poésie et de politique offre une incroyable et belle rencontre pour qui sait rêver et réfléchir tout à la fois. « Je suis le corps interdit dans la surface de réparation. »

 

© Sophie Madigand

 

 

Où la chèvre est attachée, il faut qu’elle broute, texte et mise en scène Rébecca Chaillon

Avec Adam.M, Juliette Agwali, Adrienne Alcover, Yearime Castel y Barragan, Rébecca Chaillon, Marie Fortuit, Anouck Hilbey, Audrey le Bihan, Mélanie Martinez Llense, Élisa Monteil, Patricia Morejon

Collaboration artistique Céline Champinot

Assistanat à la mise en scène Élisa Monteil

Compositon musique et interprétation live Suzanne Péchenart

Chanson/hymen de la Fifoune Anouck Hilbey

Création et régie lumière Suzanne Péchenart

Régie générale, son et vidéo Marinette Buchy

 

Du 3 au 6 juin 2019

Durée 1h30

 

 

Nouveau Théâtre de Montreuil

Salle Maria Casarès,

63 rue Victor Hugo

93100 Montreuil

 

Réservation au 01 48 70 48 90

www.nouveau-theatre-montreuil.com

 

 

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