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Othello, de William Shakespeare, mise en scène de Jean-François Sivadier, au Théâtre de l’Odéon

Mar 22, 2023 | Commentaires fermés sur Othello, de William Shakespeare, mise en scène de Jean-François Sivadier, au Théâtre de l’Odéon

 

© Jean-Louis Fernandez

 

fff article de Denis Sanglard

Il y a quelque chose de pourri dans la république de Venise. Jean-François Sivadier signe une mise en scène brillante, d’une intelligence aigüe, nouant avec une facilité déconcertante le XVIème siècle avec le nôtre, aidé en cela par Shakespeare bien sûr, notre toujours contemporain, et une traduction d’une étonnante modernité, dynamique, signée Jean-Michel Desprat. Cet Othello est un équarrissage, une tragédie dépouillée jusqu’à l’os, où le metteur en scène met à nu, à vif, les rouages et les ravages dévastateurs du mensonge, du doute et de la passion, sous-tendus par une ambition dévoratrice et une jalousie alimentées par le politique, le patriarcat et surtout un racisme systémique. Othello, le maure, l’étranger, est un homme en sursis. De par sa condition d’étranger, de noir, condition qu’on ne cesse de lui rappeler. Lui-même, conscient de sa condition, n’a de cesse de vouloir s’assimiler, par ses exploits, par l’amour qu’il porte à Desdémone, la blonde vénitienne. Le piège tendu par Iago, « parce que c’est comme ça, ne me demandez rien », argument irrationnel des purs racistes, met en lumière les ombres portées, les faux-semblants qui font de cette pièce une tragédie se concluant par un féminicide qui renvoi de facto Othello de l’autre côté de la république de Venise, à sa condition de maure, de noir, ce que Jean-François Sivadier dans la scène du meurtre souligne adroitement. Ce féminicide est comme une cérémonie cultuelle, un acte sacrificiel ou Othello sous le masque de Baron Samedi revient à ses origines, celle qu’on lui prête, à sa culture supposée, redevenu le sauvage dénoncé sans répit. Là où on n’a cessé de le renvoyer, de le remettre à sa place et ce contre quoi il a lutté, battu en brèche, en sous-main par Iago. Pourtant dans ce renoncement fatal à toutes ses ambitions demeure une magnifique ambiguïté. C’est donc le visage fardé de blanc qu’Othello étrangle Desdémone. Ou comment par cet acte monstrueux, qui le voit devenir enfin blanc et dans un simulacre tragique d’assimilation, il rejoint au final et dénonce la vraie nature, la monstruosité de ceux qu’ils servaient. Nous sommes là, ce que Jean-François Sivadier a compris et met en exergue, au cœur même du propos de Shakespeare qui déconstruit les clichés attachés à la représentation des noirs. Othello est victime d’une société raciste, ce meurtre en est la conséquence, renvoyant cette société à son abjection, sa projection fantasmée des noirs, traités de démons. D’où l’importance de Desdémone qui ne voit en Othello non le maure, mais un homme, rien de plus. Et c’est ce regard-là, sans préjugés ni préventions, vu comme une faute impardonnable, que l’on se doit de détruire aussi, accusant dans le même élan une misogynie crasse. D’une pierre, deux coups et retour à l’ordre. L’excellence de cette mise en scène tient aussi à ça, d’avoir pour Othello, les yeux décillée de Desdémone.

Et cette tragédie d’une altérité impossible, refusée et combattue, est portée par un superbe trio d’acteur, Nicolas Bouchaud (Iago), Adama Diop (Othello) et Emilie Lehuraux (Desdémone), qui sans emphase et avec un naturel confondant – l’impression que le texte se crée là, sous nous yeux, dans une urgence et une improvisation permanente, lui impulsant son rythme, épousant les coups de boutoirs des sentiments qui s’exacerbent au fil de l’intrigue se resserrant sur eux – empoignent fermement le verbe qui les déterminent et dessinent leur destin. Paroles performatives qu’une injonction initiale, « tais toi », adressée à Iago, reste sans effet. On ne se tait pas ici. Car ce qui tue ici, lent poison, c’est le verbe dont Iago est le maître absolu, comme l’est Nicolas Bouchaud. C’est la seule arme léthale dont il dispose et dont il use avec maestria pour semer le chaos. C’est cette même parole qui évite à Emilie Lehuraux d’être cette oie blanche, ce cliché rebattu tant envers son personnage, parole dont elle s’empare avec brio pour faire de Desdémone cette femme déterminée, sûre de son fait, bientôt déstabilisée par le revirement soudain, incompréhensible à ses yeux, d’Othello, qu’elle défend jusqu’au bout. Puissance du verbe, donc, qui retourne celui-ci, et le ronge, le menant à la folie, au féminicide.  Il y a en Adama Diop quelque chose de bouleversant qui le voit lentement sombrer, colosse au pied d’argile, attaqué sciemment non sur ces qualités de soldat, mais sur la seule chose qu’il ne maîtrise pas, qu’il pensait pourtant maîtriser, l’amour. De se confier sans sourciller à la seule parole de celui qui lui ment et le hait. L’offense absolue est là, dans ce mariage heureux mais mixte, donc deux fois honni de tous. C’est le coin sur lequel Iago va frapper pour faire tout éclater.

Et cette parole, Jean-François Sivadier la met en scène superbement en dépouillant le plateau de tout superflu. Moteur du drame, elle circule et rebondit, véloce, de la scène à la salle, des comédiens au public. Jean-François Sivadier, n’occulte rien de la noirceur des propos, des diatribe racistes et rances du père de Desdémone, de la misogynie patriarcale des tenants de l’autorité, mais n’oublie pas non plus au sein de cette noirceur, la comédie dont Shakespeare usait non pour désamorcer le drame mais pour en dénoncer la théâtralité. « Le monde est un théâtre », Jean-François Sivadier ne l’oublie pas, usant aussi de cela avec bonheur et naturel, comme à son habitude, on rit donc sans vergogne avant que la folie ne rattrape les personnages. Pas de gags au forceps mais encore une fois, seul le haut verbe irrévérencieux de Shakespeare à l’ouvrage (soulignons encore la traduction âpre et sans verbiage de Jean-Michel Desprat), en adresse au public souvent pris à témoin, et la touche de modernité inattendue et bien maligne apportée par le metteur en scène, ainsi du sourire du Joker que se dessine Iago, comme les chansons de Queen beuglée en chœur. C’est, oui, jubilatoire et poignant à la fois, mais d’une grande profondeur qui plonge avec acuité dans l’âme d’un homme condamné qui n’avait de noir que la couleur de sa peau.

 

© Jean-Louis Fernandez

 

 

Othello de William Shakespeare

Traduction : Jean-Michel Desprat

Mise en scène de Jean-François Sivadier

Avec Cyril Bothorel, Nicolas Bouchaud, Stephen Butel, Adama Diop, Gulliver Hecq, Jisca Kalvenda, Emilie Lehuraux

Collaboration artistique : Nicolas Bouchaud, Véronique Timsit

Scénographie : Jean-François Sivadier, Christian Tirole, Virginie Gervaise

Lumière : Philippe Berthomé, Jean-Jacques Beaudouin

Costumes : Virginie Gervaise

Son : Eve-Anne Joalland

Accessoires : Julien Le Moal

Assistante à la mise en scène : Véronique Timsit

 

Du 18 mars au 22 avril 2023 à 20h

Le dimanche à 15h, relâche le lundi

 

Odéon-Théâtre de l’Europe

Place de l’Odéon

75006 Paris

 

Réservations : 01 44 85 40 40

www.theatre-odeon.eu

 

Tournée :

26/28 avril : MC2, Grenoble

04/06 mai : Châteauvallon-Liberté, scène nationale de Toulon

10/13 mai : Théâtre de la Cité, CDN Toulouse Occitanie

24/25 mai : L’Azimut Antony-Châtenay-Malabry

 

 

 

 

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