À l'affiche, Agenda, Critiques, Evènements // Orphelins de Dennis Kelly, mise en scène Martin Legros et Sophie Lebrun au théâtre de Belleville à Paris

Orphelins de Dennis Kelly, mise en scène Martin Legros et Sophie Lebrun au théâtre de Belleville à Paris

Déc 07, 2023 | Commentaires fermés sur Orphelins de Dennis Kelly, mise en scène Martin Legros et Sophie Lebrun au théâtre de Belleville à Paris

 

© Virginie Meigne

 

ƒƒƒ article de Sylvie Boursier

« La bombe humaine, tu la tiens dans ta main, tu as l’détonateur juste à côté du cœur, La bombe humaine, c’est toi […] faudrait pas que j’me laisse aller », Liam peut vous péter à la figure à tout moment, on le sent à sa manière de regarder les spectateurs assis sur la scène avec son petit sourire en coin, son agitation parkinsonienne et sa diction incontrôlée. On n’en mène pas large quand il prend possession du plateau, le tee-shirt maculé de sang, chez sa sœur Helen et son beau-frère Danny qui s’apprêtent à dîner en amoureux. Accident, règlement de compte ? Liam semble en état de choc. Danny veut téléphoner à la police pour signaler l’incident, son épouse le retient, Liam a un dossier criminel, un jugement un peu défaillant… Les policiers pourraient en tirer des conclusions hâtives, mieux vaut attendre d’en savoir plus selon elle.

A partir de là tout s’accélère dans un jeu de billard à trois bandes crépitantes au fur et à mesure des dialogues qui révèlent des informations nouvelles, méfiance instinctive d’Helen et de Liam, orphelins trimballés de famille d’accueil en famille d’accueil, vis-à-vis des institutions, récente agression au couteau subie par Danny, Helen enceinte veut quitter ce quartier pourri. L’expression « huit clos » n’a jamais aussi bien portée son nom. En attendant, un homme blessé se tient dehors, il a besoin d’aide.

L’écriture de Dennis Kelly se reconnaît entre mille, hachée, syncopée torturée, une langue orale avant tout qui suit le flot de pensée de chacun. Répliques serrées chevauchées, coups de freins et accélérations, dérapage contrôlé puis rien… Tout est électrique, un flux en suspension grâce à une direction d’acteurs organique. Tous trois s’agrippent les uns aux autres comme à des bouées en pleine tempête, coup de gong, musique lancinante, lumière blafarde, tout est glauque. Les didascalies, lues à haute voix par un coryphée dans la tradition grecque, nous rappellent le caractère fictionnel de ce que l’on voit.

Un hors-piste pour trois comédiens remarquables dont les mots se propulsent, vidés de leur sens et qui ne finissent pas leurs phrases, happés par la peur. Martin Legros dans le rôle de Liam prend la lumière, tellement loin des clichés sur le « parlé banlieue ».

Dans un monde anxiogène où les utopies collectives fichent le camp, chacun se sent jugé et appréhende le regard de l’autre. L’unique refuge est-il dans l’intime, la construction d’un abri anti atomique comme dans Take Schelter de Jeff Nichols ? Mais que valent les liens du sang confrontés à un crime raciste ? Même le couple ne tient plus. On sort groggy de ce thriller étouffant face à un univers de zombis paranoïaques dominé par la crainte du déclassement où tout peut basculer à n’importe quel moment, juste la fin du monde ou l’après apocalypse… Un théâtre de la catastrophe assurément. Ne ratez pas ce spectacle exceptionnel !

 

© Virginie Meigne

 

Orphelins de Dennis Kelly

Mise en scène : Martin Legros et Sophie Lebrun

Avec : Julien Girard, Céline Ohrel ou Sophie Lebrun, Lorelei Vauclin, Martin Legros

Durée : 1h 25

A partir de 14 ans

 

Jusqu’au 28 décembre au théâtre de Belleville, 15 passage Pivert 75011 Paris

Le lundi à 19h, mardi 21h15, dimanche 17h30 et les 26, 27 et 28 décembre à 19h

Tournée :

Le 06 février 2024 au théâtre Charles Dullin Grand Quevilly

 

Réservation :

01 48 06 72 34

www.theatredebelleville.com

Orphelins de Dennis Kelly est édité chez l’Arche dans une traduction de Philippe Le Moine et Patrick Lerch    

 

Be Sociable, Share!

comment closed