© Simon Gosselin
ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia
L’Arcal (compagnie nationale de théâtre lyrique et musical) a choisi l’Orfeo de Sartorio créé à Venise en 1672 pour fêter ses 40 ans, soutenue par la Fondation de Royaumont où les jeunes chanteurs ont suivi deux semaines de formation. Après une création à Montpellier en juin 2023, une recréation au Théâtre-Sénart et un début de tournée à Suresnes et Douai-Arras, l’Athénée accueille à son tour la jeune distribution sous la direction musicale énergique et efficace de l’ensemble Artaserse par Philippe Jarousski qui avait lui-même débuté à Royaumont.
Orfeo n’est pas l’Orphée que nous avons l’habitude de voir dans les opéras de Monteverdi (le précurseur) puis de Gluck (un siècle et demi plus tard), tellement éperdu d’amour pour son Eurydice, qu’il part la chercher aux Enfers et la perd une deuxième fois pour lui avoir jeté un regard défendu. L’Orfeo du compositeur vénitien Antonio Sartorio et dont le livret a été écrit par Aurelio Aureli se situe avant cet épisode central de Orphée et Eurydice et modifie également celui-ci. Mais surtout, il présente les protagonistes d’une toute autre manière. On pourrait presque penser que Sartorio et Audeli se sont inspirés d’Othello, tant la peinture qui y est faite du mari jaloux est proche dans ce retournement complet de son prétendu amour en une haine cruelle contre sa jeune épouse. Innocente comme Desdémone, Eurydice est poursuivie des assauts d’un autre homme, en l’occurrence Aristée, frère d’Orphée, arrogant, dominateur et dont la violence verbale fait sursauter en ce siècle où la question du consentement est enfin considérée, même si toujours si imparfaitement respectée. Orphée ne songe nullement à s’en prendre au coupable, mais à faire assassiner Eurydice pour se venger de ce qu’il ressent comme une infidélité. Nous sommes si près de la noirceur de la tragédie shakespearienne, où le versement du sang des épouses est le remède systématique infligé par les maris soupçonneux. Autant jaloux que narcissique, Orphée se mire dans les miroirs astucieusement disposés sur le versant de panneaux double-face qui surplombent un demi-cercle de gradins devant lesquels une scène ronde circulaire tourne comme une ronde infernale et sur laquelle évoluent tour à tour les dix jeunes chanteurs dans des costumes mêlant le kitsch au chatoyant.
Certaines voix sont plus affirmées que d’autres, en particulier celle de la remarquable Lorrie Garcia prenant le rôle masculin d’Orphée. Michèle Bréant campe une Eurydice un peu timide au début, qui a des faux airs d’Emma Watson jouant Hermione dans Harry Potter. C’est le rôle du travesti d’Erinda affublé d’un costume aux seins proéminents tels ceux que Jean-Paul Gaultier avait conçus pour Madonna qui remporte la palme comique, avec Orillo (Guillaume Ribler), le berger punk poursuivi de ses assauts libidineux. Hercule (Abel Zamora) et Achille (Fernando Escalona) grimés de blanc complètent les rôles loufoques, qui tranchent avec la gravité de celui d’Autonoe, la femme délaissée par Aristée (Eléonore Gagey), interprétée avec majesté par Anara Khassenova, ou Esculape (Alexandre Baldo), autre frère d’Orphée qui regarde la tragédie amoureuse avec dédain. La distribution est complétée par des personnages qui ajoutent à la féérie tels Chiron (Mathieu Heim) avec sa queue et crinière de cheval, pates avant de centaure qui se déplace avec des béquilles, ainsi que les trois animaux.
Une belle découverte donc, même si on avoue préférer de loin sur tous les plans (musical et dramaturgique) les versions de Monteverdi et de Gluck…
© Simon Gosselin
Orfeo d’Antonio Sartorio
Livret : Aurelio Aureli
Direction musicale : Philippe Jarousski
Mise en scène : Benjamin Lazar
Scénographie : Adeline Caron
Lumières : Philippe Gladieux
Costumes : Alain Blanchot
Maquillage et perruques : Mathilde Benmoussa
Collaboration artistique : Elisabeth Calleo
Directeur des études musicales : Brice Sailly
Cheffe de chant : Yoko Nakamura
Diction italienne : Barbara Nestola
Traduction du livret : Jean-François Lattarico
Partition – édition moderne du matériel : Yannis François
Avec : l’ensemble Artaserse
Et : Lorrie Garcia, Michèle Bréant, Eléonore Gagey, Anara Khassenova, Clément Debieuvre, Alexandre Baldo, Mathieu Heim, Abel Zamora, Fernando Esscalona, Guillaume Ribler, Gabriel Avila Quintana, Chloé Scalese, Théo Pendle
Théâtre de l’Athénée
2-4 square de l’Opéra Louis-Jouvet
75009 Paris
Durée 2 h 45
Grande salle
Jusqu’au 16 décembre 2023
20 h
www.athenee-theatre.com
Tournée :
Le 2 mars 2024 à Juvisy-sur-Orge
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