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Oreste à Mossoul, texte et mise en scène de Milo Rau d’après Eschyle au Théâtre Nanterre-Amandiers

Sep 16, 2019 | Commentaires fermés sur Oreste à Mossoul, texte et mise en scène de Milo Rau d’après Eschyle au Théâtre Nanterre-Amandiers

 

© Stefän Blaske

 

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Ici, sur la scène d’un théâtre, Agamemnon et Cassandre baignent dans leur sang. Là-bas, à Mossoul, dans l’enceinte d’une résidence hôtelière, une autre scène s’est jouée et a été filmée dans la même nuit argentée : Agamemnon sortant d’un restaurant, exécutant d’une balle dans la nuque de jeunes hommes agenouillés en combinaison orange. Sur l’écran vidéo qui surplombe le plateau des Amandiers une comédienne filmée également à Mossoul exprimera alors cette réserve : « il y a quelque chose d’étrange à jouer ces meurtres dans un lieu qui en a connu des milliers. »

C’est étrange et troublant. Oreste à Mossoul nous fait aborder les rivages d’un pays lointain sans jamais effacer la distance qui nous en sépare irrémédiablement. Vole en éclat ce qui nous semblait familier : aussi bien l’argument d’Eschyle que les images d’actualités tant de fois visionnées sur nos écrans. Familiarité qui confine à la cécité.

Dans ce voyage il s’agira autant de voir la tragédie de Mossoul à travers les yeux d’Eschyle que de relire Eschyle à travers les plaies de Mossoul. Montrer l’une et l’autre sans jamais tomber dans l’obscénité d’une quelconque identification. Être sur la réserve. Se placer géographiquement au plus près de l’horreur contemporaine (Mossoul, califat de l’État Islamique) tout en ayant conscience de la distance infranchissable qui isole une victime des autres êtres humains, qui sépare tout événement de sa représentation.

Avec une virtuosité certaine, Milo Rau démultiplie les dispositifs techniques et dramaturgiques mettant en abyme les procédés habituels de représentation : les comédiens glissent d’un récit intime à une scène de l’Orestie, la vidéo mêle images live du plateau et images préenregistrées à Mossoul, le direct se met à dialoguer avec l’archive, la représentation avec le documentaire. Ces fils ainsi déroulés tissent la matière subtile d’une expérience théâtrale à nulle autre pareille, procurant la jouissance d’un temps pluriel, profondément innervé. Oreste à Mossoul se construit ainsi pour l’essentiel dans ses va-et-vient entre plateau de théâtre occidental et plateau de tournage à Mossoul, entre décor de théâtre et ruines de guerre à perte de vue, entre parole d’une personne et parole d’un personnage, entre reconstitution d’un crime et traces matérielles de ces crimes. Dans cet écart où le spectacle chemine constamment, il y a tout un monde non réductible aux vérités éternelles d’Eschyle ou aux images totalisantes de BFM TV, un monde qui est d’abord un temps pour éprouver et s’émouvoir sans rien préjuger, un monde propice au questionnement, aux incertitudes, un monde où l’on peut se remettre à penser malgré l’horreur, comme le démontrera cette lumineuse séquence où les jeunes acteurs irakiens du projet sont amenés à s’exprimer pour la mise à mort ou le pardon pour les anciens combattants de Daech.

Cassandre, doublement spectatrice du présent et de l’avenir, de l’ici et de l’ailleurs, chevauchant tragiquement ces mondes destinés à ne jamais coïncider, Cassandre, dont les mots sortent d’une bouche menacée et déjà ensanglantée, est l’âme de ce théâtre politique de l’écart, convoquant sur la même scène temps immémoriaux et temps modernes : Cassandre, debout à Nanterre crachant du sang, et simultanément, par la grâce de la vidéo, agenouillée à Mossoul le canon d’un pistolet sur la tête, une seule et même lamentation déchire l’espace et le temps, puis deux corps s’effondrant dans la même déflagration.

Ce théâtre n’est plus épique, comme le constat lucide de l’impossibilité à faire correspondre un récit du monde avec le monde dans lequel nous vivons. Mais ce théâtre est magnifique par l’intelligence sensible dont il éclaire notre monde tragique.

 

© Fred Debrock

 

Oreste à Mossoul

Conception et mise en scène Milo Rau

D’après L’Orestie d’Eschyle

 

Avec Duraid Abbas Ghaieb, Susana AbdulMajid, Elsie de Brauw, Joke Emmers, Risto Kübar, Johan Leysen, Bert Luppes, Marijke Pinoy

 

Dramaturgie Stefan Bläske

Vidéo Daniel Demoustier, Moritz von Dungern

Lumières Dennis Diels

Décor Ruimtevaarders

Montage Joris Vertenten

Assistante à la mise en scène Katelijne Laevens

Costumes An De Mol

 

Du 10 au 14 septembre 2019

Durée 1 h 50

 

Nanterre-Amandiers

Centre dramatique national

7 avenue Pablo-Picasso

92022 Nanterre Cedex

 

Réservation au 01 46 14 70 00

www.nanterre-amandiers.com

 

 

Tournée

Du 23/09/19 au 25/09/19

Roma Europa Festival

www.romaeuropa.net

 

Du 01/10/19 au 02/10/19

Rotterdamse Schouwburg

www.theaterrotterdam.nl

 

Le 05/10/10 et 06/10/19 et du 20 au 22/11/19

Schauspielhaus Zürich

www.neu.schauspielhaus.ch/de/

 

Du 22 au 23/10/19

Célestins, Théâtre de Lyon

www.theatredescelestins.com

 

Du 16 au 17/11/19

La Rose des Vents, Villeneuve-d’Ascq

www.larose.fr

 

Du 4 au 7/12/19

Théâtre Vidy-Lausanne

https://vidy.ch

 

 

 

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