© P. Le Picard
ƒƒƒ article de Marguerite Papazoglou
Le projet annoncé d’emblée, en mode conférence peu drôle, de dresser le parallèle entre la Ménagerie de Verre de Marie-Thérèse Allier et la Silver Factory d’Andy Warhol faisait craindre pour cette soirée inaugurale du rendez-vous des Inaccoutumés cet air rance de rétrospectives, éloges et anniversaires forcés. Mais Clara Le Picard se tire d’affaire telle Cendrillon quittant le bal à temps et en toute élégance ! On nous prend par la main et on nous emmène en visite et en cours d’histoire pour imperceptiblement nous faire valser dans le temps et les espaces fictionnels spéculaires.
On dirait que ce serait l’histoire d’une « maison », celle de la Ménagerie de Verre elle-même, « ouverte » puisqu’elle est censée accueillir et donner lieu à la création mais ce serait plutôt l’histoire de quelqu’un qui en ouvre la porte avec la délicatesse tout à la fois d’une archéologue, anthropologue et poète, réveillant les fantômes, humant les murs, écoutant les uns et les autres, non pour comprendre mais pour se faire comprendre elle-même. Car ce qu’elle cherche, entourée d’une belle bande d’artistes chercheurs polymorphes, est quelque chose d’évanescent, planant dans l’esprit du lieu : le comment ça marche de la création, au niveau singulier mais aussi et surtout au niveau de la communauté des artistes.
Tenant à la main un miroir dans lequel évidemment elle n’oublie pas de se regarder, elle s’amuse à amalgamer le reflet renvoyé par cet ancien bâtiment industriel avec celui de cette autre maison de création qu’a été la Silver Factory. Deux lieux et deux époques différentes que les années 60 à New York et les années 80 et 90 à Paris. Pourtant, dans ce prisme, les images semblent bel et bien pouvoir se sur-impressionner — telles les couches de couleurs pour la réalisation d’une image dans la technique des sérigraphies. Si la pièce campe quelques saynètes (certes un peu maladroites mais c’est un détail) arrachées à la vie quotidienne des artistes de ces lieux, elle évite soigneusement l’écueil de la « vedettologie » et de la représentation mimétique tant potentiellement sexy qu’énumération anecdotique. Car comme dans un roman, « il n’y a pas de hasard » pour reprendre une phrase fétiche de la conférencière et ce qui se développe ce sont les méandres de la répétition, juxtaposition, interpénétration, de ces deux scènes créant les passerelles spatio-temporelles entre la Judson Dance Theatre et la danse contemporaine française conceptuelle des années 90, entre le lieu où nous, spectateurs, sommes et les murs argentés de la Factory. Et derrière un encensement un peu trop marqué bien que distancié de la Ménagerie de Verre, partenaire de la production — et non moins de la fondatrice et directrice Marie-Thérèse Allier — la pièce opère une mise à nue du système des Maisons : les codes pour y entrer, les signes particuliers, les histoires de famille, son fonctionnement de « fabrique » de produits artistiques, la fétichisation du lieu dans sa matérialité même et par suite l’institutionnalisation de l’expérimentation elle-même.
Mais Clara n’oublie pas de s’y inclure, ainsi que nous spectateurs dans notre propre rôle, dans ce cercle matriciel et narcissique qui se mord la queue ! C’est là que Cendrillon s’échappe… dans la fiction, en racontant son secret ultime : entrer dans la légende présuppose mourir à soi-même, sortir de la temporalité linéaire de la vie pour entrer dans la temporalité de l’éternel retour de quelques bribes de vies, morceaux de vérités, de chansons ou de chorégraphies, figés et se répétant sans jamais pourtant être les mêmes, c’est-à-dire devenir œuvre d’art — comme Warhol a pu le faire de sa vie. L’œuvre c’est le cadre. A partir de là, tout y est avalé, il ne reste rien, et on les suit gaiment dans cette mort — ou fête — suspendue avec la reprise de let me freeze again et la perspective de découvrir le second volet très silver de cette création en février au 104.
© P. Le Picard
Open House, conçu par Clara Le Picard
Collaboration à la dramaturgie Claire Astier
Interprétation Claire Astier, Frank Williams, Jeanne La Fonta, Maud Pizon, Julien Andujar
Régie générale Guilhem Jeanjean
Scénographie et lumières Clara Le Picard
Chorégraphie Maud Pizon, Jérôme Brabant, Julien Andujar
Musique Frank Williams, Jeanne La Fonta
Du 13 au 15 novembre à 20h30
Ménagerie de Verre
12/14 rue Léchevin
75011 Paris
Réservation : 01 43 38 33 44
http://www.menagerie-de-verre.org
Et du 7 au 9 février 2019
A Silver Factory
104
5 rue Curial
75019 Paris
Réservation : 01 53 35 50 00 / billetterie.104.fr
http://www.104.fr
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