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One’s own room Inside Kabul, mis en scène par Caroline Gillet et Kubra Khademi, Cloître Saint-Louis – Salle des colloques, Festival d’Avignon (In)

Juil 18, 2025 | Commentaires fermés sur One’s own room Inside Kabul, mis en scène par Caroline Gillet et Kubra Khademi, Cloître Saint-Louis – Salle des colloques, Festival d’Avignon (In)

 

© Christophe Raynaud-Delage

 

ƒƒ article d’Emmanuelle Saulnier

Virginia Woolf a écrit A Room of One’s Own en 1929. Par cette expression, longtemps traduite comme Une chambre à soi, mais corrigée avec pertinence par Marie Darrieussecq dans sa traduction parue cette année chez Gallimard comme Un lieu à soi, l’autrice britannique faisait référence à cette absolue nécessité pour une femme d’avoir un lieu qui lui est propre pour son activité intellectuelle et intime. Un lieu où l’on peut penser, écrire sans que quelqu’un ne regarde par-dessus notre épaule, un lieu où l’on peut réfléchir sans devoir dans le même temps surveiller un enfant ou une marmite sur le feu.

L’idée de reprendre l’expression en l’inversant partiellement pour parler de la sphère de l’intime des femmes afghanes est déjà en soi géniale. Avant de pouvoir pénétrer physiquement dans cette pièce afghane, on se déchausse et on laisse nos sacs dans ce qui fait office de vestibule et on attend confortablement assis sur des banquettes de velours rouge, avec une trentaine d’« invités » qui se font face de part et d’autre d’une table dressée. Etrangement dressée cette table au sol. Si l’on y regarde de plus près. Et un temps suffisant est laissé pour y regarder de plus près, car ces très belles céramiques, assiettes, plats, vases, pichets comportent des dessins qui nous font étrangement penser à l’artiste qui avait dessiné l’affiche de l’édition 2022 du Festival et avait provoqué un mini scandale en raison du jeune âge du modèle représenté nue. Cette artiste s’appelle Kubra Khademi, elle est afghane et elle a trouvé l’asile en France. Et l’on réalise en regardant la feuille de salle que c’est bien elle qui a conçu la scénographie, a réalisé les dessins de ces femmes chevauchant fièrement nues des chevaux prêtes à décocher une flèche, de ces femmes conquérantes qui affichent leur nudité comme une conquête et l’on pense évidemment à cette étudiante iranienne qui s’est dévêtue en signe de protestation le 7 novembre 2024 et a été immédiatement embarquée vers un centre de soin… sa nudité interdite et punie comme au mur un étrange papier peint où des petites silhouettes de fillettes seins nus sont traversées par un fil tendu au niveau de leur ventre. La liberté des corps empêchée.

Après cette première surprise ou découverte scénographique qui peut saisir le spectateur dans cette installation immersive de One’s own room Inside Kabul, la porte se ferme. On est alors vraiment inside, sans échappatoire possible, parce que la porte est gardée (paradoxalement ou pas) par une femme, qui s’avère être, seconde surprise, la performeuse Kubra Khademi elle-même, qui s’assied au sol en bout de chemin de table, les ongles vernis, les lèvres peintes et qui ouvrira la porte ensuite pour que les spectateurs puissent retrouver l’outside. Deux termes qu’avait retenu la productrice de radio Caroline Gillet pour deux saisons de podcasts sur France Inter à partir de messages vocaux de deux jeunes femmes afghanes.

Le public de One’s own room Inside Kabul est alors immergé dans le quotidien d’une femme afghane à travers un récit laconique (dans un anglais parfait) tantôt gai, tantôt triste, optimiste ou fataliste, qui est diffusé pendant tout le temps de l’immersion avec la projection d’images, notamment vues de la fenêtre de cette témoin qui restera anonyme. Les quatre écrans (deux de part et d’autre dans ce dispositif bi-frontal) sont justement comme des fenêtres sur le monde. Et il est bien laid ce monde que ce soit derrière les rideaux derrière lesquels il faut se cacher pour ne pas être aperçue de l’extérieur (on sait que les talibans ont même demandé il y a quelques mois que les fenêtres des cuisines où travaillent les femmes soient murées ou interdites afin que l’on ne puisse pas les entrevoir) ou vu de drones survolant des paysages arides, délabrés et entièrement masculins. Rien de nouveau ? Certes, mais une manière de le vivre de l’inside et de se mettre à la place de ces milliers de victimes, en se demandant inévitablement comment on ferait à leur place, comment on résisterait, quelles idées semblables à celle d’ôter les cordes de sa guitare pour éviter de se la faire dérober ou détruite lors d’une visite surprise des gardiens, comment on supporterait les coupures d’électricité qui plongent dans le noir (l’expérience vécue de quelques dizaines de secondes dans l’immersion donne un doux aperçu) et si l’on se réjouirait une fois le courant rétabli de pouvoir lancer une machine à laver…

One’s own room Inside Kabul a la vertu de donner du sensible sans aller dans le pathos pour illustrer différemment la situation des femmes afghanes par rapport à la vision déjà acquise par les documentaires et rapports d’ONG. Même si l’on avait imaginé une dramaturgie encore plus interactive, cette sobriété froide est sans doute pertinente pour atteindre efficacement son but.

 

© Christophe Raynaud-Delage

 

One’s own room Inside Kabul, mise en scène de Caroline Gillet et Kubra Khademi

Récit sonore : Caroline Gillet, accompagnée de Anna Buy

Voix off en français : Sofia Lesaffre

Scénographie : Kubra Khademi

Vidéo artiste et techniciens anonymes à Kaboul

Lumière : Juliette Delfosse

Mixage : Frédéric Changenet – Radio France et sons additionnels depuis Kaboul Benazer

Régie générale : François Lewyllie

 

Durée : 55 min

Jusqu’au 24 juillet 2025 à 9h30, 10h45, 13h15, 16h, 17h15 et 18h30

 

Cloître Saint Louis – Salle des Colloques

20 rue du Portail Boquier

84000 Avignon

www.festival-avignon.com

 

En tournée : au Théâtre de la Concorde (Festival d’Automne à Paris) du 14 au 19 novembre 2025

 

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