© Mathieu Zazzo
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Parce qu’elle marchait sur la pointe des pieds, disait léviter, être en extase et approcher Dieu, Madeleine fut jugée hystérique et internée à l’hôpital de la Salpêtrière. Une histoire vraie dont s’empare Valentine Losseau pour une création poignante, prodigieuse parce qu’ici la magie nouvelle devient un outil dramaturgique fascinant qui interroge le réel à son point de bascule, quand la réalité vacille et bouscule nos certitudes. C’est dans la psyché de Madeleine que nous entrons et oui, Madeleine lévite puisqu’elle l’affirme, et oui, nous la voyons avec stupéfaction s’élever dans les airs. Compagne d’infortune, Flore, qui voit de la fumée partout, s’évapore littéralement, petit nuage blanc devenue. Et Laëtitia qui jamais ne parle et laquelle un jour se noie, une hydrothérapie de trop, et dont l’ombre fantomatique hantera encore les lieux et la mémoire de Max. Max dont la loghorée n’est que l’expression d’un syndrome maniaque, contrepoint humoristique – à son corps défendant – de ce pan sombre de la psychiatrie du XIXème siècle dénoncée magistralement. Il faut entendre son inventaire minutieux tiré des archives de la Salpêtrière de celles et ceux enfermés là et des justifications souvent fallacieuses de leur incarcération arbitraire. Révélations bouleversantes.
Vertigineuse et troublante mise en scène où les apparitions et disparitions sont instantanées, les perspectives parfois renversées. Personne ne rentre sur le plateau, tous surgissent, se matérialisent spontanément devant les spectateurs sans que nous comprenions par quel effet, par quel miracle. Foudroyante image d’une chaise soudain vide après que se soit estompée lentement Madeleine, symptôme tragique de l’invisibilité imposée à ces femmes internées, de leur effacement social, jugées hystériques pour des motifs souvent aberrants, à qui Valentine Losseau rend leur dignité, leur pleine humanité. Progressivement l’espace et le temps se diluent, abolis dans cet espace mental fragile et friable, ce monde flottant qu’est devenu le plateau. Il n’y a plus de réalité autre que celle de ces patientes, où l’étrangeté de ces comportements incompréhensible à nos yeux profanes deviennent une vérité tangible, intime et quotidienne, une forme de résistance à l’abandon psychiatrique. Une immersion d’une poésie et d’un merveilleux qui palie la violence d’une réalité incarnée par le psychiatre Pierre, partisan de l’hypnose thérapeutique, bientôt contaminé par cette atmosphère singulière qu’illustre un final énigmatique où la raison devenue floue semble vaciller définitivement.
Et pour exprimer, matérialiser toute cette souffrance réelle et tue, escamotée par l’institution, il y a les corps, secoués de spasmes, évocation classique de l’hystérie, mais qui se métamorphosent l’instant d’une scène, en une danse saisissante, au rythme de pleurs déchirants se métamorphosant bientôt en rire éclatant. La force de cette création est aussi là, dans ce contraste entre un corps portant les stigmates apparents d’une pathologie psychotique, clichés rabattus, et une psyché qui révèle un monde à soi, mystérieux, une autre réalité se superposant au réel, où Valentine Losseau, par la magie, nous donne à voir l’insaisissable.
Chaque tableau apporte son lot de surprise, d’émerveillement et d’effroi. La mort bouleversante de Laetitia où le corps arc-bouté refusant l’inéluctable semble résister contre une force surnaturelle qui l’emporte, la souleve malgré-elle. Flore s’élevant et tournoyant dans les airs, instant d’une grâce et beauté fulgurante. Madeleine qui semble toujours flotter, les pieds touchant à peine le sol, avant de prendre son envol. Et ces ombres fugaces et fantômatiques qui traversent parfois l’espace… Pourtant Valentine Losseau jamais n’abuse d’un procédé, trouvant un subtil équilibre entre le texte – il faut écouter Max – les effets de magie inédits et l’expression des corps habités. Nous sommes véritablement sidérés devant cet univers qui se refuse au tragique, sans le récuser, pour une poésie visuelle et symbolique où l’expérience énigmatique de la folie, cette insoumission à la réalité, devient dans une tentative de compréhension salutaire un geste artistique inouï pour dénoncer l’inacceptable qui fut la norme.
© Anka Zhuravleva
On m’a trouvée grandie, conception, dramaturgie et direction artistique de Valentine Losseau
Mise en scène et magie : Valentine Losseau et Raphaël Navarro
Avec Yvain Juillard, Leïla Ka, Delphine Lanson, David Murgia, Florence Peyrard
Et la présence de : Marco-Bataille-Tstu, Marine Bragard, Ayelén Cantini, Thierry Debroas, Théo Jourdainne et Jessica Williams
Texte : Yvain Juillard, Valentine Losseau, David Murgia
Texte additionnel : Mâkhi Xenakis
Chorégraphie : Leïla Ka
Ecriture corporelle : Leïla Ka, Delphine Lanson, Florence Peyrard
Scénographie : Benjamin Gabrié
Lumière : Valentine Losseau et Maureen Sitzun vom Dorp
Costumes : Siegried Petit-Imbert
Régie générale et plateau : Marine Bragard
Régie lumière : Maureen Sitzun vom Dorp
Régie spéciale et topeur : Camille Gateau
Régie son : Clément Netzer
Régie shadow et régie plateau : Marco Bataille-Testu
Régie plateau : Marine Bragard, Ayélen Cantini, Thierry Debroas, Théo Jourdainne, Jessica Williams
Construction accessoire : William Defresne
Ingénierie technique : Benjamin Gabrié
Soutien en ingénierie technique : Mickaël Marchadier
Direction administrative de production : Luz Mando
Chargée d’administration : Liane Déchel
Du 26 au 29 mars 2025
Mercredi et vendredi 20h, jeudi 19h, samedi 18h
Durée 1h30
La Villette
211 avenue Jean-Jaurès
75019 Paris
Réservations : www.lavillette.com
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