À l'affiche, Critiques // OCD Love, L-E-V Dance Company, chorégraphie de Sharon Eyal, musique Ori Lichtik, Chaillot-Théâtre National de la Danse

OCD Love, L-E-V Dance Company, chorégraphie de Sharon Eyal, musique Ori Lichtik, Chaillot-Théâtre National de la Danse

Juin 10, 2019 | Commentaires fermés sur OCD Love, L-E-V Dance Company, chorégraphie de Sharon Eyal, musique Ori Lichtik, Chaillot-Théâtre National de la Danse

 

© Kon Kedmi

 

ƒƒ Article de Philippe Escalier

L-E-V Dance Company présente à Chaillot jusqu’au 13 juin, OCD Love, la nouvelle création de la chorégraphe israélienne, Sharon Eyal, provoquant ainsi la rencontre avec ce que la danse contemporaine offre de plus troublant et de plus innovant.

Elle a collaboré avec de nombreuses compagnies (Batsheva Dance Company, Carte Blanche Dance de Norvège ou la Hubbard Street Dance Chicago), avant de fonder la sienne en 2013, en collaboration avec son compagnon, le musicien Gai Behar, à propos duquel elle dit : « Mes créations les plus importantes sont celles qui ont été faites après ma rencontre avec Gai. Celles d’avant ne comptent pas. » Profondément connectée au monde qui l’entoure et s’intéressant aux troubles qu’il génère, Sharon Eyal est attachée au signifiant. Son œuvre est là pour ressentir, témoigner et transcrire.

OCD Love est inspiré par un poème du slamer américain Neil Hilborn qui en 2013 accapare l’intérêt de la planète, par le biais d’Internet, avec un texte puissant traitant des troubles du comportement, en l’occurrence les fameux Troubles Obsessionnels Compulsifs dont il est lui-même atteint et qui vont bouleverser une rencontre amoureuse essentielle : « La première fois que je l’ai vue… Tout s’est calmé dans ma tête… » Ainsi débute le récit d’un dysfonctionnement radical qui ne pouvait que parler au talent créatif de Sharon Eyal. Elle reconnaît avoir été accaparée, hypnotisée par cette lecture. « Je ne pouvais m’arrêter de lire assure-elle, je voyais déjà ce texte comme une chorégraphie ou un moule dans lequel on pourrait verser son inspiration et une part de soi. » De fait, c’est une danseuse (Mariko Kakizaki) qui est au centre d’OCD Love dont elle assure les longues premières minutes introductives. Très lentement, presque au ralenti, elle entre sur scène, avec des mouvements cassés, saccadés, erratiques, on l’imagine prisonnière d’un démon intérieur ne lui laissant aucun répit et dont elle ne peut s’affranchir. Tout dans ses gestes exprime le mal-être. À l’écoute des tics-tacs binaires, envoûtants et stridents d’une horloge bruyante, l’on voit se démener cet humain aussi inadapté à son monde que l’albatros de Baudelaire peut l’être au sien. Arrivent ensuite les cinq autres danseurs sur la musique du DJ Ori Lichtik, répétitive comme l’est par excellence la musique techno, à l’image des troubles, placés au cœur du sujet de cette chorégraphie. Les corps sont très minces, les muscles affinés et nerveux, tout, dans l’aspect et la gestuelle, donne le sentiment du malaise, trahit l’impossibilité à communiquer ou à aimer, que la raison en soit la maladie ou ces nouvelles formes de communication, formidables machines à isoler. La souffrance n’est jamais loin, exprimée par une chorégraphie tourmentée, aussi glaçante que la caresse d’un scalpel sur la peau, donnant parfois au spectateur un vrai sentiment de malaise, malgré la beauté indéniable de certains tableaux, quand bien même l’esthétique n’est pas le premier objectif recherché. Dans ce désordre, les êtres ne se touchent pas, ils se heurtent, parfois avec une brutalité suggérée et s’ils sont présents, c’est avant tout l’absence qui les caractérisent. Les mains plaquées sur les visages sont des masques exprimant l’enfermement et le spectateur ne pourra s’éviter de penser au Cri d’Edvard Munch. L’on assiste au vain combat envoûtant et effrayant, mené pour se libérer d’une camisole mentale. OCD Love est l’expression d’une extrême solitude contre laquelle tant d’êtres humains combattent, en y sacrifiant toutes les forces qu’ils auraient pu consacrer à construire leur existence. C’est tout le poids des carcans de l’esprit qui contraignent ces corps asservis, contre lesquels s’engagent des luttes perdues d’avance. Sharon Eyal nous le dit avec la force et la précision du langage universel qui est le sien.

 

© Regina Brocke

 

OCD Love, chorégraphie de Sharon Eyal, Gai Behar
Musique :  Ori Lichtik
Lumières :  Thierry Dreyfus
Costumes :  Odelia Arnold en collaboration avec Rebecca Hytting, Gon Biran, Sharon Eyal, Gai Behar

Avec : Gon Biran, Darren Devaney, Rebecca Hytting, Mariko Kakizaki, Daniel Norgren-Jensen, Keren Lurie Pardes

 

Jusqu’au 13 juin 2019

Jeudi 06 juin — 20h30

Vendredi  07 juin — 19h30

Mercredi 12 juin — 19h45

Jeudi 13 juin — 20h30

Durée : 55 minutes

 

 

Chaillot-Théâtre National de la Danse

Salle Firmin Gémier

1, place du Trocadero 75116 Paris

 

 

Infos et réservations 01 53 65 30 00

www.theatre-chaillot.fr

 

 

 

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