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Notre Parole, textes de Valère Novarina, mise en scène de Cédric Orain au Théâtre de la Cité Internationale

Fév 19, 2019 | Commentaires fermés sur Notre Parole, textes de Valère Novarina, mise en scène de Cédric Orain au Théâtre de la Cité Internationale

 

© Manuel Peskine

 

 

ƒƒ article de Nicolas Thevenot

Un retable des temps modernes, voilà ce à quoi l’on pense en découvrant la scénographie de Notre Parole. Un retable immense, composé de trois panneaux vidéo déroulant leurs nappes de bruit numérique. Trois gigantesques écrans de télévision qui ne capteraient rien, sinon le bruit et la surface des choses : des pixels. Puis, tels aux premiers jours de la Création, l’indistinct, l’invisible, le chaos s’organisent, se condensent et prennent la forme d’un plateau de journal TV, animé par son habituel couple de présentateur et présentatrice.

La métaphore religieuse courra d’un bout à l’autre du spectacle, pétri d’une croyance pétulante dans l’ordre et le désordre des mots, dévoué à la poésie de la langue.

Notre Parole, par son savant montage, chevauche tambour battant la monture du langage, qui constamment oscille entre farce du verbe et métaphysique de la parole. Comme si le rire, qui est dit-on le propre de l’homme, ne pouvait jamais se départir de sa face sombre : la mort qui est en l’homme. Deux faces de la même monnaie : Notre Parole.

Cédric Orain a adapté pour ce spectacle plusieurs textes de Valère Novarina, les organisant autour de la tribune poétique et politique qu’il publia en 1988 sous le titre : Notre Parole. Novarina s’insurgeait alors, en pleine guerre du Golfe (la première), contre la prégnance de la langue télévisuelle, cette parole omniprésente, se décrétant omnisciente, façonnant pour l’homme un nouveau rapport au langage réduit à la stricte délivrance de l’information. Alors que « toute vraie parole consiste, non à délivrer un message, mais d’abord à se délivrer soi-même en parlant. Celui qui parle ne s’exprime pas, il renaît. » Le langage devient communication à l’ère de la télévision, on lui nie son arrière-fond (pour citer Pierre Guyotat), on lui refuse sa révolte poétique, on le restreint à sa surface tautologique. On refuse à l’homme que les mots puissent dépasser sa pensée.

Mais plutôt qu’à une conférence mortifiante sur ce propos, c’est à une exubérante revue enchaînant ses numéros absurdes et délirants que Cédric Orain nous convie. En ouverture tonitruante du show : des journaux télévisés donc, accumulant jusqu’à l’indigestion les travers de cette parole castrée : abus des acronymes, expressions toutes faites qui ne veulent plus rien dire, hystérie de la surenchère… suivront alors des scénettes de théâtre (et l’on aura gardé en mémoire le mot d’ordre de Novarina : parler n’est pas délivrer un message mais se délivrer soi-même en déchargeant ses affects… et ça déchargera fort et dur et à toute berzingue !). D’autres formes naîtront encore de cette « parole libérée » du carcan télévisuel : de la danse, du chant lyrique, une prière, et un sublime poème en forme de liste.

Le texte de Valère Novarina devient puissamment comique, devient parole « opérante », lorsque les comédiens accèdent à ces vitesses virtuoses, à ces accélérations extraordinaires, qui rendent le texte incompréhensible et qui pourtant nous font enfin entendre cette langue de la langue (« méta-langue ») qui anime l’être tragi-comique. La vitesse produit pour nous son effet poétique et drolatique, comme un coup d’assommoir sur notre crâne de spectateur. Céline Milliat Baumgartner et Rodolphe Poulain sont remarquables dans ce travail de mécanique burlesque nécessitant dynamisme, vélocité et précision. Ils déplient avec agilité la langue de Novarina, monstrueuse, prête à les dévorer, à les avaler à tout instant. Quant à Olav Benetvedt, il porte cette part métaphysique du texte, cette parole/sang dont il est le grand officiant, magnifique dans cette parole plus obscure, plus impalpable qu’il réussit pourtant à nous rendre claire et sensible.

Un seul regret : les panneaux magnifiquement utilisés à l’entrée du public sont finalement plastiquement très faibles sur la suite du spectacle, paresseusement cantonnés au signifiant de chaque scène.

Mais le spectacle offre une des plus belles fins de théâtre qui soient : un acteur égrenant des noms d’oiseaux, sans malice, dans le silence de la nuit qui tombe sur le plateau.

« Si un acteur monte sur scène, ce n’est rien que pour offrir à l’espace sa disparition » Valère Novarina.

 

© Manuel Peskine

 

Notre Parole, textes de Valère Novarina

Adaptation et mise en scène Cédric Orain

Scénographie et vidéo Pierre Nouvel

Création lumière et régie générale Eric Da Gracia Neves

Composition musicale Manuel Peskine

Costumes Sophie Hampe

 

Avec Céline Milliat Baumgartner, Olav Benetvedt et Rodolphe Poulain

 

Du 11 février 2019 au 2 mars à 20h00

Le jeudi et le samedi à 19h

Durée 1h15

 

Théâtre de la Cité Internationale
21 A Boulevard Jourdan

75014 Paris

 

Réservation au 01 43 13 50 60

http://www.theatredelacite.com

 

 

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