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Nos paysages mineurs, texte et mise en scène de Marc Lainé à La Filature de Mulhouse

Fév 12, 2024 | Commentaires fermés sur Nos paysages mineurs, texte et mise en scène de Marc Lainé à La Filature de Mulhouse

ƒƒƒ article de Sylvie Boursier

Ceux qui m’aiment prendront le train, Marc Lainé, comme Patrice Chéreau, aime les voyages, sa précédente création, Nosztalgia Express, se passait en partie dans un train.

Nos paysages mineurs, road movie ferroviaire entre Paris et Saint Quentin, se déroule des années 1960 à 1975 dans un compartiment où Paul et Liliane se rencontrent, s’aiment, puis se séparent. Rien à voir avec Lelouch, Paul a le bagout d’un Antoine Doisnel et la liberté d’un Michel Poiccard sorti tout droit d’A bout de souffle, Liliane a ce côté buté et triste de Miou-Miou dans Les Valseuses. Ils ressemblent aux parents du metteur en scène qui mélange petite et grande histoire comme si la seconde impactait la première et inversement. Pour Paul, prof de Philo à Saint Quentin et issu d’un milieu parisien aisé, rencontrer Liliane vendeuse au BHV, originaire de Picardie, équivaut à faire la révolution, défier les déterminismes sociaux. Être marxiste n’empêche pas le machisme, ils se giflent, s’accordent, se désaccordent, causent – surtout lui – littérature, révolution, émancipation par les études, place de l’enfant dans un couple, mais Liliane semble se dissoudre dans le paysage par instants. Le spectateur est suspendu à ce dialogue ininterrompu tandis que défile leur histoire autant que les paysages mineurs à l’extérieur de la vitre projetés sur un écran, et il accompagne le roulis du train en revisitant son passé. Effet de miroir infini…

Filmés en direct grâce à trois cameras mécanisées, les échanges d’une heure dix suivent le couple sur sept ans. L’atmosphère vintage de la scène a un charme fou, avec à jardin un train électrique sous un écran de cinéclub à la Claude-Jean Philippe, à cour un wagon de bois aux sièges en simili cuir qui rappelle le bon vieux métro de Zazie. Un bruit ferroviaire d’oscillation évocateur des voyages de notre enfance accompagne les images des paysages picards traversés tandis que Vincent Ségal suit au violoncelle les hauts et les bas du couple.

On pense à Pas son genre, film de Lucas Belvaux où Clément, professeur de philosophie parisien était nommé à Arras et rencontrait une jeune shampouineuse, Jennifer.

Si Paul est un grand théoricien de la relation amoureuse par temps de lutte des classes, c’est Liliane qui, en pratique, décidera de l’avenir de leur amour comme la Jennifer du film, en concluant, mélancolique : « La vraie vie a lieu quand, seuls, à peine conscients de nous-mêmes, nous laissons notre regard se perdre dans la contemplation de paysages quelconques, de paysages mineurs […] Les rayons de soleil illuminèrent encore un instant le compartiment avant que ce dernier ne se retrouve plongé dans une douce pénombre de fin d’après-midi. Alors la poussière sur la vitre ne fut à nouveau, simplement, que de la poussière sur une vitre. ». Les comédiens, magnifiques, Adeline Guillot et Vladislav Galard, plongent avec bonheur, dans des dialogues littéraires percutants. La réussite du spectacle leur doit beaucoup.

Marc Lainé signe un bijou de scénographie et mélange délicatement les genres. Théâtre, littérature, cinéma, musique, se croisent dans un récit fluide saisissant. Le public applaudit debout.