© Hélène Harder
ƒƒ Article de Sylvie Boursier
« L’avion vol au-dessus de la forêt, très bas. De ses entrailles s’échappe une sorte de nuage blanc. Tout à coup, une pluie dégouline sur mes épaules, le liquide gluant se plaque sur ma peau, je tousse, je suffoque, je ne comprends rien… ». Enfant durant la guerre d’Indépendance, Tran To Nga combattit contre les Américains et vint vivre en France en 1990 après l’installation du communisme. Comme des millions de vietnamiens elle fut exposée à l’agent orange et prit conscience à l’âge de la retraite de l’origine de ses problèmes de santé et du décès de sa fille. Elle a assigné devant les tribunaux une vingtaine de sociétés agro-industrielles américaines, dont Monsantos, responsables de la production de ce poison qui contamine la terre et les corps sur plusieurs générations. Des soldats américains ont été victimes de l’agent orange et dédommagés contre une absence de plainte. La pièce relate le combat historique d’une grand-mère de quatre-vingt ans qui demande réparation pour elle comme pour les millions de victimes.
Le spectacle s’ouvre par le procès qui s’est tenu au tribunal d’Évry le 25 janvier 2021 après six années de procédures et dix-neuf reports d’audience, peu à peu nous remontons le fil de l’histoire sur différents espaces parfaitement délimités, un baril de déchets chimiques comme barre du tribunal, un peu de terre en demi-cercle pour la forêt vietnamienne où se terrent les vietcongs, un berceau tressé de lianes pour la naissance de sa fille, des petites bougies sur le sol contaminé ou sont murés les corps des millions de gazés.
La douce Angelica Kiymi Tisseyre-Sékiné, comédienne délicate aux mille nuances est cette sœur de scène qui incarne Tran To Nga. Entre les deux, un beau texte de Marine Bachelot Nguyen, on voit les paysages, ces villages tant visionnés des actualités de l’époque, ces combattants qui surgissent du centre de la Terre, les rares moments d’intimité avec son bébé, avec sa mère, combattante elle aussi. La comédienne a la fraîcheur, la détermination qui conviennent. Par quelques accessoires, quelques gestes en ombre chinoise, on la suit par la piste du Cambodge vers Hanoï, lors de l’offensive du Têt.
Sur l’écran les images d’archives, photos de famille, s’intègrent parfaitement à la narration de la comédienne sensible. Marine Bachelot Nguyen, avec beaucoup d’intelligence et de pudeur, évite le piège du biopic, les images choc. Elle réussit un spectacle très juste sur la transmission et la mémoire.
« 75 millions de litres d’agent orange, déversés sur les forêts, sur les terres, sur les corps pendant la guerre du Vietnam », trois fois plus de tonnes d’explosifs largués sur ce petit pays que durant toute la seconde Guerre Mondiale, pour ce qui est considéré comme le premier écocide de l’histoire de l’humanité. La cour s’est déclarée incompétente pour juger les faits en janvier 2021. Un appel est en cours, Monsantos joue la montre mais Me Tran To Nga est toujours vivante et continue le combat.
Depuis le Viêtnam Monsantos a étendu son pouvoir de nuisance à toute l’Humanité, pesticides et poisons inondent nos sols. Jusqu’à quand ?
© Hélène Harder
Nos corps empoisonnés, texte et mise en scène Marine Bachelot Nguyen, avec la participation de Tran To Nga
Avec Angélica Kiyomi, Tisseyre Sekine
Vidéo et scénographie : Julie Pareau
Lumière : Alice Gill-Kahn
Son : Pierre Marais
Du 7 au 24 juillet à la Manufacture d’Avignon,
A 16h10, 2 rue des Ecoles Avignon
Relâche les 12 et 19 juillet
Réservation : 04 90 85 12 71
billetterie@lamanufacture.org
Tournée :
Halle-ô-grains, le 17 octobre 2023 à Bayeux
A Plozevet le 18 novembre 2023
Palais de la porte Dorée, Paris, 23/24/25 novembre 2023
Théâtre Victor Hugo, à Bagneux début décembre
Le Quartz, à Brest, les 23, 24 et 25 janvier 2024
Evry, à SN Essonne, les 7 et 8 mars 2024
Ma Terre empoisonnée (Viêtnam-France, mes combats), le livre autobiographique de Tran To Nga est édité chez Stock.
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