À l'affiche, Critiques // Nénesse, d’Aziz Chouaki, mise en scène de Jean-Louis Martinelli, Théâtre Déjazet

Nénesse, d’Aziz Chouaki, mise en scène de Jean-Louis Martinelli, Théâtre Déjazet

Jan 14, 2018 | Commentaires fermés sur Nénesse, d’Aziz Chouaki, mise en scène de Jean-Louis Martinelli, Théâtre Déjazet

© Pascal Victor

ƒ Article de Corinne François-Denève

Ancien légionnaire fan de métal, Nénesse, qui a fait deux AVC, se voit réduit aux indemnités chômage. Enfermé dans son appart minable, il va de son fauteuil roulant au frigo et ne dégoupille désormais plus que des Kro. Si c’était que ça… Parce Nénesse, il cause. Entre autres gracieusetés, il est raciste et homophobe. Ça tombe mal : l’épicier du coin est arabe, il y a un café africain qui a ouvert pas loin, et il se murmure que « Dominique », l’ami de Kevin, le fils de Nénesse, serait bien plus qu’un ami, si vous voyez ce que je veux dire. C’est donc parti pour deux heures d’éructations nénessiennes. Mieux vaut être blanc et hétéro, et avoir un blaze qui fleure bon la France ou la Belgique, limite, pour espérer passer entre les gouttes de Kro et de Nénesse. Le Nénesse est bas du front, mais il n’est pas du Front, il y insiste, justement. Il débite sur ses semblables (enfin, pardon, justement, c’est pas ses semblables, hein) des horreurs qu’un tabouret de bar PMU, pourtant supporteur de nombre de fondements foireux, rougirait d’entendre.

Au début, on assiste à une sorte de resucée plaisante du Chat. Dans le rôle de Signoret, Christine Citti, en « Gina » et en tablier-mules façon « femme prolétaire mais qui a gardé sa dignité » – il y a aussi un peu de la Sophia Loren d’Une journée particulière. Dans le rôle de l’affreux, sale et méchant Nénesse, Olivier Marchal. On le connaît pour ses fictions criminelles, on sait que c’est un ancien policier. On se dit donc que c’est un rôle de composition, dans lequel le comédien met toute sa faconde sympathique de hâbleur fatigué. Le duo s’avère bientôt être un quatuor. Pour mettre de la mousse dans la Kro, Nénesse sous-loue en effet un algéco à deux paumés : Goran, un balkanique passé par la Syrie, ancien boxeur en attente de régularisation et… Aurélien, un jambon-beurre pur jus, ancien fonctionnaire de la questure, qui a malencontreusement perdu sa carte d’identité, et est incapable de fournir le certificat de naissance de ses aïeux. Le spectateur naïf espère une rédemption. Au contact de ses frères humains, le Nénesse va s’attendrir comme un bon steak, non ? Non. Pas de catharsis, pas de consolation. Ce ne sera que des hurlements, des éructations, et pour finir, un drame. Qui s’achève toutefois par les sanglots de Nénesse, recroquevillé en position fœtale : « vous me faites tous chier. » Doit-on donc le comprendre et le plaindre ?

Les amateurs de Chouaki reconnaîtront sa langue, inventive et créative entre mille. Le tombereau de remarques haineuses que déverse Nénesse charrie des perles – néologismes, images frappantes, envolées géniales, punchlines folles. Aurélien incarne la langue de Ronsard et des classiques, qui plaît tant à Chouaki, et qu’il sait si bien faire sienne. Goran parle un sabir qui n’existe nulle part, sauf en Chouakie. Mais la pièce est poussive, et ne vit que par la juxtaposition de longs monologues didactiques, souvent dits face public. Les personnages peinent à exister, caricaturaux – on arguera que la caricature est le principe. La mise en scène ne parvient pas à créer un lien, on ne dit même pas social ou humain, mais seulement narratif.

Par les temps qui courent, et ils courent bien vite, Nénesse est problématique. Formidable sur le papier, la pièce, jouée, distille un fort sentiment de malaise. « Salaud, on t’aime » ? Le pamphlet de Chouaki, ou son hurlement outragé, s’interprète sans doute au 2e, 3e, 25e degré. En ce sens, il suppose un public intelligent. Sinon, il est une grenade dégoupillée laissée entre les mains de spectateurs qui se la passent et se la repassent – boum, ça a pété. En ce sens, sans doute faut-il la voir comme une sorte de performance. Nénesse dada. Dénesse nada.

 

Nénesse d’Aziz Chouaki

Mise en scène  Jean-Louis Martinelli
Avec  Christine Citti, Hammou Graïa, Olivier Marchal et Geoffroy Thiebaut
durée  1 h 30 environ

Du 9 janvier au 3 mars 2018, du mardi au samedi à 20 h 30
Matinée samedi à 16 h

Théâtre Déjazet
41 boulevard du Temple
75003 Paris

Réservations  http://www.dejazet.com/abonnement-buissonniere/

01 48 87 52 55

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