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Nécessaire et urgent, d’Annie Zadek, mise en scène de Hubert Colas au Théâtre de la Colline

Mai 16, 2016 | Commentaires fermés sur Nécessaire et urgent, d’Annie Zadek, mise en scène de Hubert Colas au Théâtre de la Colline

ƒƒƒ article d’Anna Grahm

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© Hervé Bellamy

C’est une écriture pudique et obsessionnelle que nous offre Annie Zadek. Elle nous conduit sur un chemin pavé d’interrogations, parle aux morts et à nous les vivants. C’est une recherche philosophique. Sa démarche explore les limites de la pensée, suit les traces des souvenirs oubliés, soulève les immobilismes. Son fil conducteur traque l’incertitude, les rapports ambigus que l’on entretient avec la mémoire.

La mise en scène est une expérience magnétique. Le style épuré de Hubert Colas accompagne cette marche hypnotique, porte sa quête, sublime sa poésie, épouse ses fêlures et découvre ses lignes de force. Mais pour entrer dans le spectacle, il faut accepter de se perdre, il faut s’égarer au bord des précipices, appréhender la profondeur des abîmes, se laisser porter vers des points de fuite. Il faut se contenter d’être escorté par une foule de silences, il faut se laisser bousculer par les découvertes, se laisser guider vers des lieux de séparations et de deuils impossibles. Et comme toujours, revenir sur les terres de l’incompréhension, et creuser les exils et déterrer les germes de régressions.

Le dispositif scénique capture les acteurs dans un espace temps irréel, et captive immédiatement l’attention des spectateurs. Au milieu du plateau, trône un énorme cube de verre que des rayons lumineux balaient de part en part. La lumière aveuglante blesse le regard du public, et découpe comme un laser, le corps des acteurs.

Ils viennent de la transparence, se distinguent à peine, se télescopent et se perdent. Ils ont des silhouettes fragiles en perpétuel mouvement, difficilement identifiables. Prisonniers des volumes du carré, ils traversent une forêt de miroirs, apparaissent dans un filet lumineux, disparaissent dans un dédale d’ombres. Leurs reflets se multiplient, changent sans arrêt d’aspect, s’appréhendent et s’amenuisent.

Et soudain il est là, en chair et en os, bien en vue à l’avant scène, premier sorti du labyrinthe, campé solidement sur ses deux jambes et pose des questions. En apparence toutes simples qui ressemblent à celles que chacun pourrait poser lors d’une toute nouvelle rencontre avec un inconnu. Mais l’homme se fait plus précis, plus curieux, fouille, examine comme pourrait le faire un officier de police lors d’un interrogatoire. Et le personnage féminin encore enfermé derrière les parois de verre, paraît démuni, semble incapable de fournir des réponses suffisamment valables pour rendre compte de qui elle est.

Ils sont là désormais, côte à côte tous les deux, cherchant à remplir le questionnaire de leur terre d’accueil, à gratter les contours dont ils sont faits, à passer au tamis tous les sujets qu’ils n’ont jamais pu aborder. Elle, comme lui, n’en n’ont jamais terminé avec ce qu’ils ont tu, qui les hante, qu’ils redoutent encore d’aborder. Ils parlent à tâtons, d’un monde englouti, d’un effroi invisible, évoquent des évènements d’une cruauté inouïe, qu’ils hésitent à nommer tout à fait. Ils écartent avec une infinie délicatesse, des regrets éternels, tandis que derrière eux, des fumées montent du sol, s’élèvent et s’épaississent, prennent corps, lèchent les parois du cube jusqu’à le remplir tout à fait.

L’image saisissante s’empare du Zyklon b des chambres à gaz, du champignon atomique, image sublime et atroce que cette main happée par la fumée qui fait resurgir l’ampleur criminelle du génie humain. Sentiment tragique d’avoir à côtoyer et la beauté et l’horreur.

De l’inimaginable traumatisme de la Shoah, restent des douleurs fantômes que les nuits morales d’aujourd’hui rendent plus réelles que jamais. Sur ces ponts entre passé et présent repose ce dilemme lancinant. Partir ou rester. Suspendus à la répétition des sidérations récentes, confrontés à la haine insupportable, le besoin de transmission est plus qu’urgent.

 

Nécessaire et urgent
Texte Annie Zadek
Mise en scène et scénographie Hubert Colas
Assistants mise en scène Sophie Nardone et Yuval Rozman
Lumière Hubert Colas et Fabien Sanchez
Musique Oh ! Tiger Montaini
Images vidéo Patrick Laffont et Pierre Nouvel
avec Bénédicte Le Lamer et Thierry Raynaud
Du 12 mai au 4 juin 2016
Du mercredi au samedi à 20h, le mardi à 19h et le dimanche à 16h

Au théâtre de la Colline
15, rue Malte Brun paris 20
Réservation 01 44 62 52 52
www.colline.fr

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