À l'affiche, Critiques // « My Dinner with André » de Damiaan de Shrijver et Peter Van den Eede au Théâtre de la Bastille

« My Dinner with André » de Damiaan de Shrijver et Peter Van den Eede au Théâtre de la Bastille

Nov 07, 2014 | Commentaires fermés sur « My Dinner with André » de Damiaan de Shrijver et Peter Van den Eede au Théâtre de la Bastille

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

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Deux hommes dans un restaurant. Ils se sont donné rendez-vous. Sans grand enthousiasme pour l’un, écrivain et comédien fauché. L’autre est un metteur en scène réputé et riche, très riche. Deux caractères opposés que tout séparent et que ce dîner dans ce restaurant de New-York rapproche. Un peu. Trop peu. Devant la logorrhée, le narcissisme exacerbé, l’égocentrisme d’André pour qui tout doit faire sens jusqu’à multiplier les expériences incongrues, Wallace n’oppose que son presque mutisme, ses brèves colères, son ironie douce-amère et bourrue. On parle de la vie, de la mort, de l’amour, du théâtre – beaucoup, beaucoup – et l’on mange. Vraiment. Un chef est là qui cuisine en direct sur le plateau et fait le service. Et l’on salive et savoure. Non pas de ce repas mais de ce qui se passe là, sur ce plateau précisément. Un moment rare, un bonheur absolu de voir deux immenses acteurs – allons y pour les superlatifs – jouer devant nous, se jouer de nous, nous qui devenons complices volontaires de cette discussion à bâton rompu qui semble s’inventer là, s’improviser, entre deux bouchées. Car à cette table, nous sommes conviés, nous sommes aussi les convives. Tg STAN et de KOE, compagnies associées pour cette reprise indispensable, se font fort de faire théâtre de tout. D’araser la dramaturgie, de dépouiller la scène de tout artifice et replacer l’acteur au centre du processus dramatique. Radical mais efficace et jubilatoire. Et du scénario initial du film de Louis Malle, ils s’emparent avec la même gourmandise et le même appétit que Wallace dévorant les plats servis. Mais surtout ils manient l’art de l’illusion avec une telle maestria que l’on est bientôt ivres ne sachant plus très bien ce qui relève de la fiction théâtrale ou de la réalité. Ils ne cessent de subrepticement quitter leur rôle, d’y revenir. De brouiller les frontières entre réalités et illusions. Si l’on parle beaucoup de théâtre, Grotowski est amplement et avec énormément d’humour cité, les comédiens ne cessent de dénoncer leur rôle jusqu’à déstabiliser son partenaire. Ainsi à André qui soudain s’aperçoit qu’il a oublié un sac plastique probablement sur la table de sa cuisine, Wallace lui répond d’aller voir dans sa loge s’il n’y est pas. Jusqu’à laisser le texte sur la table et d’y plonger quand une interrogation surgit sur le sens d’un mot. Pour les spectateurs l’effet est immédiat. D’abord troublés, nous sommes vite embarqués, complices de ces échanges de haute-volée, de ce numéro de duettiste hilarant et touchant, presque pathétique parfois. Car ce sont deux clowns, ces deux-là. Le blanc et l’auguste. L’illusion est parfaite qui voit cette même illusion bientôt dénoncée et devenir sans doute une autre illusion. Ce ne sont qu’emboîtements successifs, jeux de rôle permanent où l’on se joue avec bonheur des ambiguïtés créées avec tant de subtilité. Car tout bien sûr est écrit, rien sans doute n’est laissé au hasard. Et on s’en contrefiche. Car ce qui se joue à vrai dire, ce qui est questionné, c’est notre rapport au théâtre – au monde donc – que cette conversation interroge avec tant de brio brillant et féroce. Car ces deux-là entre deux coups de fourchettes, entre la poire et le fromage, confrontent leur vision du théâtre, sa fonction indispensable, et c’est de la vie dont il parle. La leur. Et la nôtre. Derrière le mutisme de Wally ou les fanfaronnades intellectuelles, les expériences new-âge d’André c’est une même question où seules les réponses diffèrent, quel sens donner à tout ça. Arrive l’heure du café et des cigares. Il est l’heure de payer l’addition. Demain ils remettront le couvert. On sort de ce dîner mis en appétit, gourmand tout à coup, affamé de théâtre.

My Dinner with André
De et avec Damiaan De Shrijver et Peter Van den Eede
Texte d’André Grégory et Wallace Shawn
D’après le scènario du film éponyme de Louis Malle
Adaptation Damiaan De Shrijver et Peter Van den Eede
Traduction française Martine Bom
Costumes Inge Büscher
Décors tg STAN et de KOE

Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette
75011 Paris

Du 3 au 14 novembre à 20h30
Dimanche à 17h – relâche le 6 et le 11 novembre
Réservations 06 43 57 42 14
www.theatre-bastille.com

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