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Music-Hall, de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo, au Théâtre du Petit Saint-Martin

Nov 18, 2022 | Commentaires fermés sur Music-Hall, de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo, au Théâtre du Petit Saint-Martin

 


© Jean-Louis Fernandez

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Voilà, elle surgit du fond du plateau, indispensable ça, un rituel même, toujours le même, s’avance vers son tabouret, lequel a son importance, lente et désinvolte. Et vous déroule sa vie d’artiste, raconter des anecdotes et chanter en play-back, sur la voix de Joséphine Baker, « ne me dis pas que tu m’adores », flanquée de ses deux boys, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche, toujours à la même place, l’un qui fut son mari, l’autre son amant. Et qui disparaîtront un matin, sans bruit, comme ceux qui les ont précédés, lassés et désillusionnés de ces tournées minables, passant de Montargis, « trous du cul du monde » en banlieues grises, payés à la recette, quand recette il y a, quand public il y a. Fourreau noir fendu jusque sur le haut de la cuisse, visage plâtré de blanc, œil charbonneux, quelques paillettes pour l’illusion, affrontant les regards goguenards, la fille ressasse la même histoire, se ment à elle-même, triche, rêve de transatlantique, pour finir valise à la main sur des chemins caillouteux, dans cette tournée qui n’en finit pas, se délite, ne peut finir. Parce que c’est sa vie, et qu’elle s’y accroche comme elle s’accroche à ce tabouret, le seul bien qu’elle possède désormais, résumant là ce qui reste de son art. Une vie de vagabonde, pour reprendre le titre éponyme du roman de Colette, qui en connaissait un rayon sur ces tournées minables, l’envers du décor hanté par ces artistes, soutiers obscures des planches. Ce que l’auteur Henri-René Lenormand, aux oubliettes désormais, décrivait si bien dans sa pièce de 1920 Les ratés. Music-Hall, ce petit chef-d’œuvre de Jean-Luc Lagarce, écrit en 1988, ça pourrait être l’envers du Voyage à la Haye, récit d’une tournée, la dernière de l’auteur. C’est tout l’amour de Jean-Luc Lagarce fait de tendresse et de mélancolie pour ce métier, pour le théâtre, pour le music-hall et ceux qui le traversent, cahin-caha contre vents et marées. Et c’est toujours la même petite écriture pointue, précise et tranchante, cette petite musique à nulle autre pareil, un art du ressassement, de l’obsession qui tenaille, de la pensée qui tournicote sur elle-même, parce qu’il faut se faire comprendre, toujours, et bien. A soi et aux autres. Et c’est cette mélancolie-là, cette tendresse râpeuse, cette ironie bienveillante qui traverse cette mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo, tout aussi amoureux du music-hall et qui lui rend ici ces lettres de noblesse. C’est beau, oui. De simplicité et de justesse. Et parce qu’il bénéficie de trois acteurs en état de grâce, qui épousent chacun leur personnage dans leur plein et leur délié, et plus encore, et cette écriture singulière dont ils font grand cas. Le grand dégingandé Pascal Ternisien et le petit nerveux Raoul Fernandez, un duo de music-hall donc, outre-fardés, manient le plumeau à défaut de plumes, dansotent et mènent cette revue qui s’effiloche avec l’allant de routiniers désabusée et obstinés. Rivaux autant que complices, ils veillent sur elle, la fille, contrepoint pour démentir la véracité mensongère d’un récit et d’un quotidien plus désenchanté qu’enchanteur. Elle, la fille, c’est Catherine Hiegel, époustouflante, pas d’autre mots, qui fait de cette pièce un boulevard du crépuscule. Prend l’écriture de Jean-Luc Lagarce à bras le corps, en fait sienne, lui offre un nuancier incroyable. Avec ça, un art absolu de la rupture. Il n’y a rien de pathétique dans son personnage, ce qui aurait put être, mais l’attitude crâne et franche, tranchante et surtout pas dupe, de celle qui est revenue de tout, résiste encore, malgré tout, quand même. Qui maîtrise désormais jusque son désastre, devenu le rôle d’une vie, l’unique et le dernier, avec ses trucs, sûr de ses effets. Vieille routarde, cabocharde plus que cabotine, affranchie des regards de compassion d’un public aux abonnés de plus en plus absents. Catherine Hiegel déploie là, mine de rien, l’expérience de plus de quarante de carrière et il en faut un sacré talent pour jouer celle qui n’en a plus, en a eu peut-être, ou rêvât d’en avoir.

 

© Jean-Louis Fernandez

 

Music-Hall de Jean-Luc Lagarce

Mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo

Avec Catherine Hiegel, Pascal Ternisien et Raoul Fernandez

Costumes : Mine Barral Vergez

 

Jusqu’au 8 janvier 2023, 19 h ou 2 1h, en alternance avec les règles du savoir vivre de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Marcial DI Fonzo Bo, avec Catherine Hiegel :

http://unfauteuilpourlorchestre.com/les-regles-du-savoir-vivre-dans-la-societe-moderne-de-jean-luc-lagarce-mise-en-scene-de-marcial-di-fonzo-bo-au-theatre-du-petit-saint-martin-2/

 

 

Théâtre du Petit-Saint Martin

17 rue René Boulanger

75010 Paris

 

Réservations et renseignements : 01 42 08 00 32

bef@theatre-portestmartin.fr

www.petitstmartin.com

 

Dates de tournée : www.comediedecaen.com

 

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