© Christine Coquilleau
ƒƒƒ article de Corinne François-Denève
« On ne nait pas femme, on le devient », disait Simone. La question de savoir comment on devient Marilyn Monroe appartient sans doute à Norma Jeane Baker. La question de savoir comment on devient femme, et actrice, en prenant pour exemple Marilyn Monroe – ou tant d’autres femmes – appartient à Judith Margolin.
Mudith Monroevitz, la réincarnation ashkénaze de Marilyn Monroe, est, comme son titre l’indique, un objet théâtral non identifié, qui tient de l’autofiction théâtrale, du stand-up, du numéro burlesque, et de tant d’autres choses. L’actrice en scène, coiffée comme Marilyn, vêtue comme elle d’une vaporeuse robe blanche, entreprend tout d’abord de nous raconter un « date » catastrophique : le prétendant est un accident industriel, qui semble légitimement appeler un autre accident industriel, d’ordre somato-gastrique celui-ci. (La femme en effet, cet être fragile et ethéré, est aussi un ventre, un estomac, un intestin.) La débâcle psychique est propice à l’introspection psychique : que ne faut-il pas avaler pour arriver à être une femme ? Ou une comédienne – et une comédienne légitime, qui aimerait jouer La Mouette ? Mais comment Marilyn a-t-elle donc fait, elle ? Cela tombe bien : l’icône débarque un soir dans la cuisine familiale, par le tarama périmé attirée, et va pouvoir guider « Mudith » sur le chemin du devenir-femme, et du devenir-actrice.
Judith Margolin, avec une inconscience folle, que lui permet son abattage exceptionnel, emprunte des chemins de crête, où le merveilleux et l’onirique côtoient le scatologique et le non politiquement correct. Anne Franck croise Barbra Streisand, Le Lac des Cygnes est interrompu par Rabbi Jacob.
Le « show », à la scénographie très réduite (une rampe de lumières, un fauteuil, des accessoires malicieusement disposés en coulisses) est calibré au millimètre ; sous ses airs libres et joyeux, c’est une véritable machine de guerre admirablement écrite, habilement mise en espace, intelligemment rythmée et chorégraphiée – les lumières, les musiques, sont à l’avenant.
Le propos suit un fil d’Ariane souvent fragile : les « tranches » de vie se succèdent de façon ténue, maintenues ensemble par la structure que leur impose la comédienne, qui passe d’un personnage à un autre, jaillissant, telle une diablesse hors de sa boite, d’un espace à l’autre du plateau.
Si l’on rit beaucoup devant cette petite Mudith qui se transforme en Mère Ubu, ou en Tzipé Schmoll, mais qui rêve d’être Marilyn, ou Nina ou juste… elle-même, on ne peut s’empêcher, souvent, d’avoir la larme à l’œil. Ce trajet d’émancipation, qui est « performé » sous nos yeux, a aussi quelque chose d’essentiel : il raconte tout autant qu’il montre la naissance d’une actrice, à elle-même, à nous-même – formidable actrice qui trouve sa voix, son corps, son chemin, et qu’on attend juste de revoir très vite.
Mudith Monroevitz, la réincarnation ashkénaze de Marilyn Monroe de et avec Judith Margolin
Mise en scène : James Joint et Judith Margolin
Lumières : Denis Schlepp
Création sonore : Christophe Danvin
Avec les voix de : Louise Ghegan et Brigitte Faure
Durée : 1 h 10
Vu au théâtre de la Pépinière le 24 avril 2023 (dernière date).
Théâtre la Pépinière
7 Rue Louis le Grand
75002 Paris
Réservation : 01 42 61 44 16
www.theatrelapepiniere.com
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