Critiques // Moving in Concert, conception et chorégraphie Mette Ingvartsen, au Centre Pompidou – Festival d’Automne à Paris

Moving in Concert, conception et chorégraphie Mette Ingvartsen, au Centre Pompidou – Festival d’Automne à Paris

Nov 13, 2019 | Commentaires fermés sur Moving in Concert, conception et chorégraphie Mette Ingvartsen, au Centre Pompidou – Festival d’Automne à Paris

 

© Marc Domage

 

 

ƒƒ article de Marguerite Papazoglou

Moving in Concert, un titre comme une instruction d’action par défaut pour l’exécution de la chorégraphie ou comme le plus petit dénominateur commun de la pièce… Ce n’est pas seulement parce que Mette Ingvartsen annonce engager son nouveau cycle de création autour de la question des nouvelles technologies, de leur effet sur notre cerveau et sur notre façon d’agir, que cette image surgit mais aussi parce qu’on pourrait caractériser Moving in Concert comme une large et constante recherche de réduction, presque au sens philosophique du terme : réduction du phénomène de la danse vers quelque chose qui pourrait figurer son noyau. Elle y engage un imaginaire et un vécu propres aux écrans, à la connectivité, à l’équilibre mouvant dans un réseau de contraintes.

Au départ des corps de dos, immobiles, anonymes et quelconques, « non étalonnés », une bande-son de voix mixées (un open space ? un lieu public ?), des « gens » donc, du réel. Et adossé à cela, l’anonymat de leurs costumes académiques, le plateau blanc, une immobilité bien peu naturelle, des sons de synthèse. La tension entre le naturel et l’artificiel se fait sentir tout de suite. Par ailleurs, une économie des moyens. Uniques sources lumineuses : des tubes de néons portatifs. Des éléments en mouvements d’un bout à l’autre : les neuf corps manipulant chacun une des huit barres de néons (curseurs lumineux) et une branche « bâton de vieux sage », et un déversement continu et sonore d’un fin gravier-lentilles érigeant lentement un cône noir sur le sol blanc. Chaque tube a une face noire et une face lumineuse, délimitant à chaque instant une zone noire et une zone lumineuse, la ligne lumineuse pouvant apparaître ou disparaître. Et cela devient le point central : nous assistons à un véritable ballet d’ombre et de lumière et de rythmes lumineux. Toute l’écriture porte sur le mouvement de la lumière, le mouvement humain, lui, n’étant plus le centre d’intérêt ni même d’attention.

La chorégraphe danoise laisse cette structure abstraite se ramifier et se complexifier sur un modèle végétal, sans rupture. D’abord dans un jeu spatial où chacun réajuste sa position en fonction de celle des autres, les danseurs laissent la place aux lignes lumineuses verticales qu’ils portent et qui captent le regard. Puis les curseurs se connectent, la ligne de lumière ondule et se déplace, les infra basses de la bande son qui miment les ondulations nous font embrasser des états de conscience modifiés. Les danseurs, maintenant les tubes bout à bout, évoluent sans repères musicaux dans une même temporalité et une même corporéité, une vitesse commune et un certain flottement des articulations, comme une esquisse d’un grand corps collectif à l’œuvre. Et voilà qu’ils entrent dans la chaîne, créant un effet de tenségrité architecturale en introduisant l’élément élastique entre les lignes rigides. Mais la complexité du mouvement des éléments — les tubes lumineux et les membres humains — ne perd rien de limpidité plastique. Le lien de continuité perdure en devenant plus organique. La lumière et les corps se marient, dansent ensemble. Mette Ingvartsen réussit un équilibre difficile où l’inerte et l’animé, la rectitude abstraite et l’accident de la matière, la lumière et l’ombre, l’artificiel et le naturel sont dans une présence égale, dans une évolution magnifiquement lente et perpétuellement changeante. Tout se meut de concert. Tout est rythme, calme et musicalité.

En équilibre et en tension car la pièce ne se réduit pas à un simple ballet de lumière virtuel. Le système contient de l’altérité : l’académique rose au milieu des orange, la personne portant le bâton en bois au milieu de celles portant les barres lumineuses. Cette exception devient au bout d’un moment un solo à part entière, le regard se porte sur elle du fait même qu’elle n’est pas éclairante mais éclairée. Les courbes du corps et les volumes sont sublimés en opposition à la bi-dimensionnalité des curseurs lumineux. Une présence qui apparaît et disparaît. De même que les voix ventriloquées au plateau, reprises dans la bande-son et recouvertes de drones planants, les présences sont toujours vacillantes, au bord d’un doute. La réalité est troublée. Sont-ils en train de parler ? d’aller vers un unisson ? les couleurs sont-elles en train de changer ? etc.

Un fin travail de mise en forme chorégraphique qui aboutit à la  figure du tour perpétuel revisitée, dans lequel tous entrent, et que l’on peut lire comme une résolution des oppositions qui ont structuré l’écriture. À la fois horizontalité et verticalité, rectitude et courbes, il achève la transfiguration des corps en matière noire. Les curseurs passent à l’horizontale et par tous les angles intermédiaires alors que les corps ancrent la verticale. Derviches tourneurs modernes, gyrophares décontextualisés devenant ready-made de danse. D’abord à l’unisson, puis divergeant sur toute une série de variations créant une apothéose visuelle vrai-faussement digitale. Fascination, vacillement des perceptions, flou, bonheur hypnotique. Seul subsiste le ballet de lumières, rythmes incroyables et mise en mouvement de l’espace tout en halos de couleurs d’ombres et de lumières.

Petit bémol pour la toute fin, qui patine, étrangement. L’abandon des tubes lumineux, l’entrée dans la matière — les danseurs s’enfouissant dans le noir des lentilles — ainsi que le franchissement physique du quatrième mur et l’avancée magmatique vers le public semblent faire figure de passage ; une éventuelle porte de sortie de l’abstraction ? vers un autre niveau d’incorporation ? vers une autre sorte d’interaction ? Seulement, ça n’aboutit pas. Les corps s’effondrent et la pièce se clôt sans contact avec le réel. Le final avec le retour du focus sur le danseur qui continue de tourner de plus en plus vite paraît comme un piètre retour en arrière. On reste sur ce point d’interrogation et enfermés dans un état second qui du coup est déstabilisant. Hypnotiques les nouvelles technologies ? certes, mais alors quoi ? Ce n’est donc que ça, tels les écrans et les jeunes enfants, un effet de la lumière sur les insectes nocturnes ? Un ballet esthétique et raffiné, d’une radicalité formelle et dramaturgique essentielle et absolument maîtrisée mais dont l’intention affichée (questionner l’influence des nouvelles technologies) nous aura laissés un peu dubitatifs devant un discours somme toute assez tautologique, plus descriptif que critique.

 

© Marc Domage

 

 

Moving in Concert, conception et chorégraphie de Mette Ingvartsen
Remerciements à Anna Persson
Dramaturgie : Bojana Cvejić
Son : Peter Lenaerts
Lumières : Minna Tiikkainen
Costumes : Jennifer Defays
Décor : Mette Ingvartsen, Minna Tiikkainen
Directeur technique : Hans Meijer
Assistante chorégraphe : Christine De Smedt

Avec : Bruno Freire, Elias Girod, Gemma Higginbotham, Dolores Hulan, Jacob Ingram-Dodd, Anni Koskinen, Calixto Neto, Norbert Pape, Manon Santkin

Remplacements : Thomas Bîrzan, Hanna Hedman, Armin Hokmi
Du 6 au 9 novembre 2019 à 20 h 30

Durée 1 h 10 environ

 

 

Centre Pompidou

Place Georges Pompidou

75004 Paris
Réservation au  01 53 45 17 17

www.centrepompidou.fr

 

 

Tournée

27 – 28 novembre 2019

PACT Zollverein, Essen, Allemagne

PACT Zollverein
Bullmannaue 20a
D-45327 Essen

+49 (0) 201. 81 22 200

www.pact-zollverein.de/en

 

18 février 2020

La Garance, Scène nationale de Cavaillon

La Garance

Rue du Languedoc

84300 Cavaillon

04 90 78 64 64

www.hivernales-avignon.com

 

21-22 février 2020

Dansen Hus, Stockolm, Suède

Dansens Hus
Barnhusgatan 14
111 24 Stockholm

www.dansenshus.se

 

27-29 mars 2020

HAU Hebbel am Ufer, Berlin, Allemagne

HAU

Hallesches Ufer 32

10963 Berlin

+49 30 25900427

www.hebbel-am-ufer.de

 

29-30 avril 2020

Théâtre National de Bretagne, Rennes

Théâtre National de Bretagne

1 Rue Saint-Hélier

35040 Rennes

02 99 31 12 31

www.t-n-b.fr

 

12 mai 2020

Internationaal Theater Amsterdam, Pays-Bas

Internationaal Theater Amsterdam

Leidseplein 26

1017 PT Amsterdam

+31 20 624 2311

www.ita.nl

 

14 mai 2020

Theater Rotterdam, Pays-Bas

Theater Rotterdam

Locatie TR Schouwburg
Schouwburgplein 25
3012 CL Rotterdam

www.theaterrotterdam.nl

 

 

 

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