© Jeanne Bodelet
ƒƒ Article de Sylvie Boursier
Un look iconique – poing levé, béret et veste en cuir sombre, bras croisés, dégaine martiale – et des gueules de cinéma, on les reconnaît de loin les Black Panthers, assassinés pour la plupart à moins de 30 ans par le FBI. Connus dans le monde entier pour leurs affiches dévoilant le port ostentatoire des armes à feu, ils furent caricaturés et infiltrés par les services secrets alors qu’ils prônaient le droit à l’autodéfense des Afro-Américains face à l’Amérique raciste. Leur idée principale était de se faire remarquer tout en respectant la loi. Dans les campus de Californie des années 1965 ils inventent le graffiti et le street art.
More on over or we’ll move on over you, littéralement « passez à autre chose sinon nous passerons à autre chose » nous plonge dans la salle des machines du parti, un atelier de sérigraphie imaginaire où trois Panthers inventent au fur et à mesure des modes d’actions. Le début est éblouissant de poésie, toute l’histoire des premiers colons avec quelques dessins à l’encre de chine et des silhouettes en ombre chinoise. Une dinde appelée Amerikkka couve des œufs sur lesquels on peut lire les mots : oppression, capitalisme et racisme. Carabine à roue, carabine winchester, fusil darne « Élan », colt Python, contre-enquêtes sur les meurtres racistes, pochoirs, la racle de sérigraphie produit en direct des compositions saisissantes. L’instant d’après les militants s’emploient à déconstruire leur image médiatique car ils ne sont pas là pour « bouffer du flic ». La mise en scène de Stéphanie Farison tape là où on ne l’attend pas, le happening succède aux travaux manuels, les patrouilles armées testent en direct les slogans. Si ça ne marche pas on recommence. Tout est concret car, au lieu d’attendre le grand soir, ils améliorent réellement le sort des minorités qu’ils représentent par l’éducation populaire, les cantines gratuites, l’accompagnement des familles de détenus, la lutte contre l’alcoolisme, la toxicomanie, la formation des communautés noires à l’auto-défense. On ne s’engage pas en politique le ventre vide alors ils agissent, quand les gens ont un problème ils vont voir les Panthers.
Joris Avodo, Maxence Bod et Camille Leon Fucien ont l’abattage qui convient à ce road movie, aux antipodes des extrémistes violents décriés par les autorités. Fougue et concentration, chant et danse, le jeu des acteurs mélange les genres, harangues, blues, musique, tractages, impressions, affichages. On sent la complicité de l’équipe artistique et la vitalité joyeuse d’un mouvement d’avant-garde au service des idées. Un livre de droit, un magnéto, un revolver, le rapport de force avec la police est bien rodé.
Le collectif 71 fait revivre la beauté de cette révolution éphémère, son intelligence, ses capacités d’improvisation et de self contrôle, tellement loin de la violence terroriste. Un spectacle total à voir seul ou en famille, car il peut donner envie à des jeunes de dépasser les protestations et d’agir. Qu’est ce qui permet de passer de la rage à l’action ? qu’est ce qui donne envie de s’engager ? Beaucoup de mouvements aujourd’hui pourraient s’inspirer des méthodes des Panthers. A l’heure des clashs, du buzz, des lynchages sur les réseaux sociaux, du populisme, la parole politique est discréditée, cette forme de théâtre forum la réhabilite.
« Je ne peux plus respirer » murmura Georges Floyds en 2020 avant de succomber à une agression policière. Selon la Bible quand l’eau ne tombe plus il ne reste que le feu, « qui survivra à l’Amérique ? Qui ? Peu d’américains, extrêmement peu de nègres et aucun, aucun miséreux… » et le volcan fume encore.
More on over or we’ll move on over you, l’atelier des Black Panthers, écrit et mise en scène par Stéphanie Farison
Son : Eric Recordier
Lumière : Laurence Magnée
Avec : Joris Avodo, Maxence Bod, Camille Léon-Fucien
Un spectacle du collectif 71 présenté au théâtre de la Manufacture, CDN Nancy du 05 au 08 décembre 2023
Tournée en cours d’organisation :
Centre Culturel Houdremont-La Courneuve (93), le 9 février 2024 à 19 h
Théâtre Firmin Gémier La Piscine dans le cadre du festival Marto à Chatenay-Malabry (92), le 10 mars à 17 h
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