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Mouvement sur Mouvement, de Noé Soulier, à Lafayette Anticipations, dans le cadre du Festival Echelle Humaine et du Festival d’Automne

Sep 20, 2022 | Commentaires fermés sur Mouvement sur Mouvement, de Noé Soulier, à Lafayette Anticipations, dans le cadre du Festival Echelle Humaine et du Festival d’Automne

 

 

© Noé Soulier

 

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Le fond de scène est transparent et projette, dans la lumière étale de cette fin d’après-midi, mon regard sur un immeuble voisin couvert d’échafaudages. Vu de l’esprit, on ne saurait dire qui de la pierre ou du tube d’acier soutient, retient l’autre. Et dans les entrelacs que composent les lignes métalliques, c’est comme une autre géométrie structurant l’espace par de nouvelles lignes de force, renouvelant le corps de l’édifice qu’il recouvre. Noé Soulier, lui, se fait architecte et maître d’œuvre d’une conférence en mots et en actes sur le mouvement. L’essence et le moteur de la danse. Ce qui l’anime, ce qui nous anime. L’agir et le penser. Pour cela, Noé Soulier part et s’empare des Improvisation technologies du chorégraphe William Forsythe. Ouvrage vidéo et vade-mecum destiné originellement aux danseurs de sa compagnie, il illustre, par l’artifice de l’incrustation numérique, ces lignes, points, courbes que le maestro crée dans l’espace par la seule grâce du geste en mouvement.

Tandis que le corps de Noé Soulier développe ces technologies, performant ces suites de gestes immédiatement reconnaissables pour qui aurait préalablement visionné des extraits de cette œuvre de Forsythe, la parole du danseur jaillit, s’avance, poursuit l’horizon d’une idée, progresse, reprend, s’élance, s’interrompt. Dans ce flux au long cours, au long corps, sans soubresaut, l’évidence d’une danse se révèle quand bien même la voix ne ferait que parler, s’exposer dans un discours, sans forcer le trait, car elle ouvre véritablement un espace mental et une temporalité, bref un mouvement. La beauté, à la fois abstraite et profondément organique de la proposition virtuose de Noé Soulier, à savoir : dans une double inversion, offrir simultanément sur un même plateau la parole du corps et la danse de la parole, cette beauté singulière découle de leur apparente déconnexion, de leur suffisante décorrélation, et l’on ne serait pas moins stupéfait d’assister, si cela nous était possible, par un prodigieux split screen, au spectacle de la tectonique des plaques terrestres sur fond de tectonique des passions humaines, à moins que ce ne soit l’inverse.

Le cœur de Mouvement sur Mouvement se trouve résolument chez son spectateur, appelé à performer cette double réception d’une parole et d’un geste qui se donnent étrangers l’un à l’autre. Dissociation, grand écart, écartèlement, le voilà, ce spectateur, déboussolé et transplanté dans des territoires inconnus. Le cul entre deux chaises, entre le geste et la pensée. Tel un voyage dans l’écriture de Pessoa entremêlant les couches de réels et d’imaginaires, l’esprit spectateur se doit d’être, dans un même sursaut, concentré et relâché pour embrasser l’entièreté diffractée et divergente de Mouvement sur Mouvement. La pureté et la précision des mouvements brefs se frottent à la rigueur des plans conceptuels, à la volonté d’une parole qui se déploie, tels deux silex s’entrechoquant et produisant une nouvelle poétique étincelante.

On atteint alors cette sensation de présence au monde qui n’est pas si loin de celle du voyageur de train à quai, qui tout en se sachant à l’arrêt, se perçoit en mouvement en fixant son regard sur le train voisin en train de s’éloigner. Noé Soulier fait ainsi œuvre de disruption dans notre référentiel d’espace et de temps. La carte de la pensée se superpose à celle du territoire des gestes, ou l’inverse, sans qu’aucune ne prenne le dessus. Il y a de l’homme de Vitruve, non seulement parce que Noé Soulier, momentanément allongé au sol, déployant ses bras, pourrait s’inscrire dans la célèbre image, mais parce que le dessin de Léonard inscrit et condense mouvements du corps et pensées en mouvement.

Mouvement sur Mouvement déroule son panorama théorique et sensible, dans une cinématique où se glissent outre William Forsythe, Yvonne Rainer, Simone Forti, Trisha Brown, Merce Cunningham, et quelques autres encore. Et si Noé Soulier évoque enfin la figure de Jackson Pollock, et sa dripping action, action dénuée selon le peintre d’intentionnalité, c’est un autre artiste que l’on pourrait évoquer en regard de Mouvement sur Mouvement : Cy Twombly, et son art vertigineux, faisant communiquer les dimensions spatiales et temporelles, entrelaçant les plans, les niveaux de conscience, nouant l’hétérogénéité, le discours, l’indicible et la pulsion de vie.

 

© Noé Soulier

 

Mouvement sur Mouvement, de Noé Soulier

Concept et interprétation : Noé Soulier

Régie générale : Éric Fassa

 

 

Durée : 50 minutes

Les 12 et 13 septembre 2022, à 19 h

 

Lafayette Anticipations – Fondation Galeries Lafayette

9, rue du Plâtre

75004 Paris

www.lafayetteanticipations.com

tél : +33 (0)1 42 74 95 59

 

 

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