© Lionel Moogin
ƒƒ article de Denis Sanglard
Deux textes de Mikhaïl Boulgakov, Morphines et Carnets d‘un jeune médecin, réunis en un seul récit et sans couture apparente. Une greffe réussie pour un récit qui vous happe et une mise en scène qui opère sans que l’on y prendre garde un virage à quatre-vingt-dix degrés et vous laisse, au final, sur le carreau. Histoire d’un jeune médecin, tout juste diplômé, parachuté au fin fond de la campagne russe. Inexpérimenté, assailli de doutes, isolé, insomniaque, peu à peu la morphine devient son refuge. Histoire d’une addiction et d’une terrifiante descente aux enfers. Mariana Lézin, la metteuse en scène, dans son adaptation qui relie les deux textes pour n’en faire qu’un, conserve cependant les deux personnages protagonistes de chaque nouvelle, Bomgard et Poliakov. Ils sont donc deux sur le plateau mais n’est-ce pas le même personnage dans l’expression de sa schizophrénie ? Ou sont-ils les témoins fusionnel l’un de l’autre de cet enfer ? N’y a-t-il pas non plus un transfert, comme une lente et fatale contamination de Bomgard à Poliakov, à moins que ce soit l’inverse ? Mariana Lézin ne tranche pas, volontairement, et sème le trouble. Etrange mise en scène aussi, surprenante et qui vous conduit là on ne s’y attendait pas. Tout commence par du grand-guignol, une farce burlesque et macabre. Humour noir et litres de sang. Amputation, extraction de dents ou accouchement, ça saigne, gicle, éclabousse. Le sang est rouge, bleu, voire jaune. On rit beaucoup. Jusqu’à la première injection de morphine. Là, comme corrompue lentement par cette addiction la mise en scène de farce devient tragédie poisseuse. Mariana Lézin peu à peu en retire tout le spectaculaire, assèche tout effet, épure jusqu’à l’os pour ne se concentrer que sur le récit halluciné de Poliakov et de sa dépendance de plus en plus grande. Désormais, c’est dans la tête de ce dernier que Marina Lézin fouaille pour en extraire l’essence de sa douleur, laquelle envahit le plateau devenu espace mental d’une addiction, d’une folie que plus rien ne semble arrêter. Le noir profond c’est substitué au blanc éclaboussé de sang. La dernière image, inéluctable, porte en elle, dans son ambiguïté même, une clef dans la lecture de cette création vertigineuse : la rédemption par la mort ou l’écriture. Il faut aussi souligner la performance des deux comédiens qui plongent dans les abymes de ces personnages, qui peut être ne font qu’un, avec un talent certain sans jamais tomber dans l’outrance mais au contraire gardent, même dans le grand-guignol, une mesure, une sincérité telle qu’ils préservent cette part d’humanité, jusque dans la douleur, qui donne à cette création sa profondeur et sa justesse.
© Lionel Moogin
Morphine d’après morphine et récit d’un jeune médecin, de Mikaël Boulgakov
Adaptation Adèle Chaniolleau et Mariana Lézin
Mise en scène Mariana Lézin
Dramaturgie Adèle Chaniolleau
Avec Paul Tilmont et Brice Cousin
Scénographie et construction des décors Emmanuelle Debeusscher
Lumières Nicolas Natarianni
Création vidéo Guillaume Dufnerr
Musiques et sons Stéphane Villieres
Costumes Patrick Cavalié et Eve Meunier
Du 6 octobre au 30 décembre 2021
Du mercredi au samedi à 19 h, le dimanche à 15 h
Théâtre de Belleville
16 passage Piver
75011 Paris
Réservations 01 48 06 72 34
www.theatredebelleville.com
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