À l'affiche, Critiques // Morgane Poulette de Thibault Fayner et Désobéir, d’après Mathieu Riboulet, mises en scène d’Anne Monfort, Atheneum de l’Université de Bourgogne, Dijon, et Théâtre de Belleville, Paris

Morgane Poulette de Thibault Fayner et Désobéir, d’après Mathieu Riboulet, mises en scène d’Anne Monfort, Atheneum de l’Université de Bourgogne, Dijon, et Théâtre de Belleville, Paris

Déc 04, 2018 | Commentaires fermés sur Morgane Poulette de Thibault Fayner et Désobéir, d’après Mathieu Riboulet, mises en scène d’Anne Monfort, Atheneum de l’Université de Bourgogne, Dijon, et Théâtre de Belleville, Paris

 

Désobéir © Luc Arasse

 

ƒƒ Article de Corinne François-Denève

 

En l’espace d’une dizaine de jours se jouaient dans deux endroits différents deux productions de la Compagnie day-for-night d’Anne Monfort : Morgane Poulette, une création de 2017, à l’Atheneum de l’Université de Bourgogne à Dijon, et Désobéir, une écriture de plateau plus récente, au Théâtre de Belleville à Paris.

Les deux pièces sont chacune une rhapsodie de deux textes : pour l’un, Le Camp des malheureux et La Londonienne de Thibault Fayner ; pour l’autre Entre les deux il n’y a rien et Les Œuvres de miséricorde de Mathieu Riboulet. Mais quand l’un des textes (Morgane Poulette) explore la psyché d’une chanteuse junkie, ou d’une junkie chanteuse, sa tragique passion avec son amant Thomas Bernet et sa vie Rock’nRoll, l’autre s’interroge sur l’état du monde, la valeur de la vie, de la jouissance, dissertant sur les temps qui courent, nommant au gré des discussions ces « morts de la paix » – nouveaux Justes sacrifiés à la « raison » d’Etat, dans un faux temps de concorde – que sont Pier Paolo Pasolini, Aldo Moro, Rémi Fraisse, Adama Traoré, Pierre Overney ou Carlo Giuliani… Rien à voir a priori donc entre ces deux textes : l’un parle des « alters » qui pensent aux autres, l’autre ne s’articule que sur le malheur solipsiste d’une « poulette » au prénom de fée. Et pourtant : l’un des textes parle de désobéissance, l’autre de l’extinction de la classe ouvrière sous les oripeaux du rock ; ce sont deux textes politiques.

Semblablement fragmentés (ici, nous sommes dans une esthétique du tableau), les deux textes aiment à juxtaposer deux histoires apparemment sans rapport (le sexe et la politique dans Désobéir, Thatcher et… Iron Maiden dans Morgane Poulette). Le tissage des textes peut paraître obscur, l’assemblage peut dérouter : il faut s’accrocher pour suivre les premières minutes de Morgane Poulette, mélopée trépidante, exercice de style écrit au « tu », qui manie les répétitions obsédantes (« tes amis disent » …) jusqu’à la migraine ; il faut accepter de voir toutes ces victimes de Désobéir couchées ensemble dans un même égalitarisme, et voisiner avec des évocations de coucheries en tout genre (mais Pasolini veille, en figure tutélaire).

Les textes, il faut le dire, deviennent vite musique : fiévreusement débité, parlé-chanté dans Morgane Poulette, où l’accent (atténué, musicalisé, à la française) de Pearl Manifold se laisse en fin de compte savourer, hors du sens des mots ; ton de la conversation badine, intellectuelle, séductrice et militante pour Désobéir – et Anne Monfort a beau jeu de convoquer comme inspirateurs Godard ou Rivette.

La musique des mots se conjugue souvent à un théâtre d’images : ainsi, dans Morgane Poulette, la scénographie délocalise la punkette grunge sur une île préraphaélite (on se souvient qu’Anne Monfort a aussi écrit un Tout le monde se fout de la demoiselle d’Escalot), de laquelle « Morgane », sans Merlin, doit sortir pour « se mouiller » ou sauver sa peau. Le dispositif est plus classiquement « théâtral » dans Désobéir, où il s’agit pour les acteurs de mettre à nu un échafaudage pudiquement recouvert de gaze à l’ouverture de la pièce – une métaphore du mensonge d’Etat, de cet état du monde ?

Improbable mélange de High Fidelity et de Mrs Dalloway, Morgane Poulette repose intégralement sur les épaules faussement frêles de son actrice, Pearl Manifold. Manifold fait aussi partie, avec Katell Daunis et Jean-Baptiste Verquin, du trio de Désobéir, cette fois entre les Innocents de Bertolucci et ces éternels jeunes gens qui aiment, plaisent et courent vite (mais pas assez, souvent) que l’on peut trouver chez Christophe Honoré. Tous trois sont admirables, cela est évident ; mais Verquin compose une si juste partition que le texte, intelligent et intellectuel, se met à se fendre dans un soupir d’émotion fragile – il est d’ailleurs la voix du guérisseur dans Morgane Poulette.

Propos ferme, propositions élégantes et tenues : les deux productions, différentes, témoignent toutefois d’une vision éclairée.

 

Morgane Poulette © Luc Arasse

 

 

Morgane Poulette de Thibault Fayner

Mise en scène Anne Monfort
Avec Pearl Manifold et la voix de Jean-Baptiste Verquin

Le 28 novembre 2018

Durée : 1h15

A l’Atheneum de l’Université de Bourgogne, Dijon

http://atheneum.u-bourgogne.fr

 

Désobéir, écriture de plateau d’après Entre les deux il n’y a rien et Les Œuvres de miséricorde de Mathieu Riboulet

Conception et mise en scène Anne Monfort

Dramaturgie Laure Bachelier-Mazon

Avec Katell Daunis, Pearl Manifold, Jean-Baptiste Verquin

Scénographie et costumes Clémence Kazémi

Création, régie lumières et régie générale Cécile Robin

Création sonore et régie son Julien Lafosse

Stagiaire mise en scène Julia Dreyfus

 

Durée : 1h10

Du 2 au 18 décembre 2018

Lundi et mardi à 19h15, dimanche à 20h30

 

Théâtre de Belleville

​94 rue du Faubourg du Temple

Passage Piver

75011 Paris

 

T 01 48 06 72 34

https://www.theatredebelleville.com

 

 

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